#Chapitre 45

46 3 0
                                    

Assise sur le siège passager de l'Aston Martin de mon père, je laisse mon regard divaguer sur les paysages herbeux de Bretagne qui se confondent sous mes yeux fatigués. A côté de moi, mon père est exagérément concentré sur l'asphalte qui défilent sous nos roues, daignant à peine contrôler ses rétroviseurs de temps en temps. Lancés à une vitesse nettement supérieure à la limitation autorisée, il slalome entre les voitures présentes sur l'autoroute sans même s'encombrer du clignotant. Ce n'est pas tant qu'il a besoin de se focaliser sur la route pour nous éviter un carambolage – encore que, zigzaguer à cent soixante kilomètres heures entre ces « escargots » que composent le commun des mortels doit tout de même nécessiter une certaine attention... – mon père semble se plonger corps et âme dans sa conduite afin d'éviter toute confrontation visuelle avec moi. Voilà plus d'une heure que nous roulons dans un silence pesant, seulement troublé par le ronronnement du moteur. J'ai bien essayé de mettre la radio pour le combler, mais mon père l'a coupée cinq cents mètres plus loin. Ces quatre jours privilégiés en tête à tête avec lui s'annoncent longs... vraiment très longs.

Après cette conversation que j'ai surprise entre lui et ces hommes, je fuis tout autant son regard qu'il évite le mien. Je ne parviens à le regarder de peur qu'il y lise le doute, les soupçons et la déception qui m'habitent désormais. Je n'arrive pas à me soustraire à leur échange, celui-ci tourne en boucle dans ma tête. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, troublée par ses mots que je ne peux oublier et dont je ne peux parler à personne pour le moment. Seul Valentin est au courant, mais il n'a pas davantage abordé le sujet que moi. Par ailleurs, j'ai décidé d'attendre la fin des vacances pour révéler ce que j'ai appris au reste du groupe, afin de ne pas gâcher leur séjour en famille.

Par chance, le fait de rouler à cette vitesse réduit le temps de trajet et bientôt, mon père daigne enfin activer son clignotant pour prendre la sortie d'autoroute à Dinard en direction de la Pointe de Malouine. Un poids se pose sur ma poitrine alors que nous approchons immanquablement de la maison où j'ai grandi, celle emplie de souvenirs de ma mère. C'est la première fois que j'y reviens depuis maintenant cinq ans et pourtant, chaque détail correspond à l'exactitude de l'image que j'en ai gardé : du jardin de pelouse impeccable qui s'étend de la maison jusqu'à la falaise surplombant la Manche, le Saule qu'affectionnait tant ma mère et la demeure de pierres blanches et brun sombre, une villa de la Belle Epoque toujours aussi fière avec son toit d'ardoise et son balcon d'un blanc éclatant. Sur le perron de l'hôtel particulier se tient une frêle silhouette, courbée par les années de dur labeur, mais c'est un sourire brillant de larmes qu'elle m'adresse depuis le haut des marches quand mon père arrête la voiture. Avec précipitation, je détache ma ceinture, ouvre ma portière avant de courir vers ses bras tendus.

- Hélène ! m'exclamé-je en la serrant contre moi, heureuse de retrouver cette vielle dame qui m'a élevée avec ma mère.

- Mon enfant ! murmure-t-elle à mon oreille, la voix serrée d'émotion. Tu as tellement grandi ! La dernière fois que je t'ai vue, tu m'arrivais tout juste à la poitrine !

Elle s'écarte de moi alors que je peux maintenant plonger dans son regard sans lever la tête, au contraire, il faut même que je la baisse légèrement ! Comme si elle me découvrait de nouveau, elle m'étudie des pieds à la tête lorsque le pas mesuré de mon père montant les quelques marches à son tour la ramène à la réalité. Aussitôt, elle reprend une position droite, la tête légèrement inclinée en signe de respect.

- Monsieur, le salue-t-elle avec déférence, veuillez pardonner mon comportement inapproprié, je me suis laissé emporter par la joie de retrouver Mademoiselle.

- Ce n'est rien Hélène, balaye-t-il ses excuses. Bien au contraire, l'affection que vous vous portez l'une envers l'autre me ravit. Je suis heureux de savoir que ma fille peut compter sur une présence aussi bienveillante pour son retour chez elle. Et si vous prépariez justement une petite collation pour Willow, s'il vous plaît ? Le voyage a été long. Nous montrons les affaires plus tard.

L'Ecole des Neuf Muses [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant