#Chapitre 28

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Tandis que je m'apprête à basculer dans ma chambre, de retour d'une petite virée sur les toits où j'ai passé ma journée pour éviter le groupe, je tombe nez à nez avec ma colocataire dont les yeux s'écarquillent de surprise. La main sur la poignée de ma fenêtre, je comprends qu'elle était sur le point de la refermer. C'est une chance que je sois arrivée à temps ! Alors qu'elle retourne dans la salle de bain, je l'entends moqueusement marmonner dans sa barbe :

- Faut que j'arrête de m'étonner...

Je hausse froidement un sourcil, sans daigner lui répondre. Ma réaction chasse aussitôt son sourire. Mal à l'aise, elle triture ses mains. Une petite part de moi culpabilise en la voyant aussi mal, une autre, plus rancunière, lui en veut terriblement de ne pas m'avoir cru.

- Will... plaide-t-elle finalement. S'il te plaît, pardonne-moi. J'ai été stupide ; Adrian peut dire ce qu'il veut, si tu es toujours la première sur place quand quelque chose arrive, c'est parce que tu es la seule à agir. Je suis vraiment désolée...

Je m'adoucis, mais ne cède toujours pas.

- Tu parles, je ne fais que réagir au petit bonheur la chance... me reproché-je, amère. Adrian a raison sur un point ; si je vous avais raconté tout ça avant, Liam aurait sûrement été plus prudent. Tout comme si j'avais parlé de l'homme en noir qui m'a pourchassé dans les bois, peut-être que l'école aurait davantage sécurisé la course d'orientation...

Jaz me fixe étrangement, et secoue vivement la tête.

- Non, Will, tu te trompes. Pour l'homme en noir, c'est de notre faute. Tu étais convaincue que c'était quelqu'un de dangereux et on t'a persuadé du contraire. S'il y a quelqu'un a blâmé pour ça, c'est Mathias et moi, pas toi. Quant à Liam, ça n'aurait rien changé ; dans un cas comme dans l'autre, il va bien et c'est grâce à toi.

Je souffle, acerbe, mais m'abstiens de répondre. Elle ne comprendrait pas. J'ai l'impression qu'à ses yeux, tout ça relève davantage du jeu que d'un réel danger. A l'écouter, je suis une héroïne qui a accompli de grandes choses alors que la vérité est tout autre. La vérité, c'est que j'improvise de A à Z et qu'il n'y a que la chance qui m'a permis de m'en sortir. La vérité, c'est que je suis totalement dépassée par les événements, que je suis totalement larguée. La vérité, c'est que je me sens au bord de l'implosion, sur le point de craquer comme une poupée de porcelaine. Elle me croit forte, mais elle ignore la nature de mes cauchemars, elle ne sait pas que mes crises d'angoisses sont revenues, que je redeviens la petite fille brisée, que j'étais à la mort de ma mère. Mais je tais cette vérité car il serait trop dur de l'avouer, trop difficile d'admettre que je suis fragile, faible... misérable.

Toujours bercée par ses illusions, mon amie tente le tout pour le tout : les mains jointes devant elle, elle tombe à genoux :

- Punis-moi, frappe-moi, fais ce que tu veux, mais pardonne-moi s'il te plaît.

Je hausse un sourcil sceptique face son attitude un tantinet excessive. Surjouant, elle baisse la tête vers le sol en signe complet de soumission. Un brin amusée, j'attrape un coussin que j'avais sous la main pour l'abattre gentiment sur sa tête. Elle se fige instantanément, le carré de tissu bleu tombant mollement devant elle, puis elle relève doucement les yeux vers moi, révélant un doux regard assassin, mais le sourire aux lèvres. Sans que je comprenne véritablement ce qu'il se passe, elle se munit de mon oreiller avant de se jeter sur moi. Par instinct, j'esquive juste à temps, mes cheveux balayés dans le courant d'air provoqué par son arme de fortune.

- Eh ! protesté-je oubliant peu à peu mes sombres pensées, tu m'avais autorisé à te punir ! T'es déloyale !

Désarmée, je me munis des seuls outils dont je dispose : mes doigts. Ses côtes exposées, je me mets à la chatouiller, lui provoquant un élan d'hilarité. Roulée en boule sur mon lit, tentant vainement d'échapper à mes assauts, elle finit par se rendre, vaincue.

L'Ecole des Neuf Muses [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant