#Chapitre 59

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Un cri de rage ébranle les murs de ma chambre. Je serre la lettre dans mes poings jusqu'à en faire une minuscule boule beige. Je la balance le plus loin possible de moi. Les yeux embués, je fixe la boule de papier rebondir contre ma bibliothèque avant de tomber sur mon bureau. Incapable de la voir plus longtemps, je rejette violemment mes couvertures. Prise d'un élan de fureur, j'envoie valser la totalité de ce qui se trouvait sur mon espace de travail. Cahiers, classeurs, crayons et partitions, tous s'écrasent contre le mur avant de toucher le sol. Le pot qui contenait mon bonzaï se brise en mille morceaux tandis que le terreau se répand à travers la chambre. Mais l'horrible boule de papier n'est pas encore soustraite à ma vue. Je me dirige droit sur elle, indifférente aux bouts de céramique qui s'enfoncent et me découpent la chaire nue, avant de lui donner un puissant coup de pied dans la feuille froissée. Cette fois-ci, elle disparaît sous mon fauteuil, mais cela ne suffit à apaiser mes sanglots. Loin de là. Choquée par mes affaires tristement répandues par terre, je finis par me laisser glisser au sol. Les genoux remontés contre mon ventre, je plonge la tête dans mes mains. Je veux juste sortir de ce putain de cauchemar ! Que tout ça s'arrête... Le corps tremblant sous la puissance de mes tourments, je me roule en boule sur le tapis bleu, au milieu des débris, terrassée par le trop-plein d'émotions de ces derniers jours. La douleur, l'angoisse, la peur, l'inquiétude, le chagrin, la frustration, la colère, la rage. La solitude. La lassitude. L'épuisement. Tous ces sentiments auront eu raison de mes dernières forces...

J'ignore combien de temps je reste ainsi, prostrée au pied de mon lit. Le flot de mes larmes s'atténue, mes sanglots me laissent la respiration saccadée, sifflante. Un mal de tête point dans mon crâne. Courbaturée, je me redresse péniblement, essuie mes dernières larmes. Je fixe le vide, perdue et épuisée, méditant sur cette maudite lettre. Le revirement d'Octavius me donne la nausée. Comment peut-il s'imaginer un instant qu'après tout qu'il a provoqué, j'accepterais de l'écouter ? Je n'éprouve que de la haine à son égard. Il a été impressionné par mes prouesses ? La belle affaire ! Croit-il vraiment que je pourrais m'allier à un monstre pareil ? Après qu'il m'a arraché mon grand-père ? Failli causer notre mort à Adam et moi ? Comment peut-il se permettre d'attendre de moi ma coopération ! Alors jusqu'à ma confiance ?! Il rêve ! Cela dit, il a raison sur un point : je suis terriblement curieuse. Et j'ai trop de questions sans réponse. Le souvenir de la conversation à propos de ce Max me tiraille. Les mystères qui planent autour de Vittoria aussi. Les adultes refusent de nous mettre dans la confidence sous prétexte que nous sommes trop jeunes alors même que nous nous retrouvons malgré nous au cœur de ce conflit. Il y a encore trop de secrets.

Accepter à son rendez-vous ne m'engage à rien, après tout.

Toutefois, rien ne m'assure qu'il ne s'agit pas d'un piège grossier. Dans tous les films, ça se passe comme ça. L'entrevue secrète qui tourne mal, c'est du vu et revu. Qu'est-ce qui me garantit qu'il en sera autrement avec celle-là ? Rien. Même s'il m'autorise à venir accompagner, cela peut tout aussi bien être une fausse démonstration de paix pour me donner confiance...

Mais je suis curieuse...

Et sûrement idiote.

En proie à un sérieux dilemme, je me ronge les ongles de nervosité. Seule avec la totalité de mes idées noires qui tournent en boucle dans ma tête, je me sens sur le fil de rasoir, prête à sombrer dans le gouffre de la folie, une bonne fois pour toute. Il faut que j'en parle à quelqu'un. Il faut que je m'assure qu'Adam va bien. Il faut à tout prix que j'apaise l'avalanche de mes tourments.

Le corps engourdi, je me relève maladroitement. Un regard à mon réveil m'indique qu'il est minuit largement passé. Tant pis. J'ai besoin de le voir, je n'y tiens plus. Le bras tendu sous mon fauteuil, je tâtonne à la recherche de la maudite lettre lorsque mes doigts se referment dessus. Je chausse mes bonnes vieilles Converses, enfile mon manteau avant d'ouvrir en grand ma fenêtre. Accrochée contre la façade sous une fine bruine hivernale, je teste mon pied blessé et mes muscles fatigués. Douloureux et gauches, mais suffisamment stables. Ça ira. Tout doucement, j'évolue contre la gouttière au métal glacé qui me mord les doigts avant de me hisser sur les tuiles glissantes de pluie gelée. Prudemment, je traverse la toiture avant de redescendre au niveau de la chambre de mon compagnon. A mon grand soulagement, la lumière éclaire encore sa fenêtre. Je me glisse sur son rebord et prends un instant pour l'étudier. Les cheveux ébouriffés et humides, je devine qu'il sort de la douche. Avachis sur son matelas, il lit distraitement un bouquin. De profonds cernes creusent ses yeux fatigués et sa joue se pare d'une opaque teinte violacée. Son ventre se gonfle brutalement puis se dégonfle pendant qu'il pousse un soupire. Il referme son livre qu'il abandonne sur sa couette. Il tend la main vers sa table de nuit, saisit son téléphone qu'il allume... puis rééteint presque aussitôt pour le reposer. Il se redresse, se passe une main sur le visage avant de se lever. Devant la cage de son lapin, il se baisse pour lui tendre la main. Le petit animal blanc renifle ses doigts avant de se laisser prendre dans les bras. Adam le caresse et, tandis qu'il retourne vers son lit, il sursaute en me remarquant à sa fenêtre. Je souris, gênée, alors qu'il dépose Hector sur son lit avant de m'ouvrir précipitamment.

L'Ecole des Neuf Muses [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant