ASTRA

PROLOGUE

Ère des hommes. AN 557

                Il serait incapable d'énumérer le temps passé privé de sa vue. Ligoté et aveuglé par un bandeau autour de son visage, au fond d'un cachot humide et fétide d'un navire. Il avait senti l'odeur de la mer, ressenti les vagues mettre à mal le bateau, lui affligeant des nausées constantes, seul dans l'obscurité, sans savoir où on le menait. 

Quand venait l'heure qu'on l'alimente, il ne percevait que les rires de ses geôliers, lui jetant systématiquement ses gamelles au sol, le laissant se débrouiller seul, et s'en suivirent parfois quelques coups au corps. Malgré ses mains liées dans son dos, il parvenait quelques fois à se recroqueviller, afin d'aspirer le reste d'eau qui nourrissait le bois sous ses pieds, et avaler quelques résidus pourris, que même l'équipage rejetait.

            Et lorsqu'enfin, au péril de ce voyage sans repères, il entendit le bruit de la serrure se déverrouillant, ainsi que la violence avec laquelle deux hommes l'avaient projeté en dehors de sa prison, sur la terre ferme, il se sentit renaître. Ironique, car il se doutait qu'il était ici pour vivre ses derniers instants. 

On le traina sur une distance qui lui sembla interminable, ressentant d'abord un sol sableux, puis rocailleux, herbeux et humide. Il grimpa beaucoup, arrachant le peu de forces qu'il lui restait dans les jambes après des jours d'assise. On finit par le lâcher à genoux sur du plat et on lui redonna finalement la vue.

De l'ombre à la lumière.

Il fallut presque une minute à ses yeux pour passer d'un flou brillant à une réalité acceptable. 

                 Avant l'apparition des hommes sur Astra il avait parcouru ce monde maintes et maintes fois, arpenté et foulé tous ses continents et ces régions, pensant que rien ne pouvait plus le surprendre, jusqu'à aujourd'hui, où il se trouvait, pour la première occasion de sa vie, au milieu de l'inconnu.

Une vaste étendue de terre verte, au bord d'une haute falaise. En bas de celle-ci, il apercevait ce qui devait être surement le navire avec lequel il fut transporté ici.

                Devant lui se dressaient les ruines de ce qui s'apparentait à une tour. Les murs faisaient plus de dix fois sa taille par endroits et lui arrivaient à peine au torse par d'autres. Il y'avait également quelques marches, détruites elles aussi, accolées aux parois, usées par le temps, qui ne menaient nulle part, si ce n'est au ciel.

Les gardes s'en allèrent, le laissant seul, toujours ligoté.

Lorsqu'il se retourna, trois autres hommes s'étaient avancés. 

Son visage, qui était à ce moment empli à la fois de peur, et de curiosité, se transforma en haine, et dégout. Ces trois silhouettes représentaient tout ce qu'il détestait. Tout ce pour quoi il avait accompli sa destinée, ce pour quoi il avait sacrifié son âme, et enfin, ce pour quoi il s'en était remis à son maitre. 

Afin de les faire disparaitre. Tous.

Ces derniers, fixés derrière lui, le regardaient avec froideur, antipathie, et tristesse.

Le plus grand des trois, un Elfe, s'avança.

 — Alors c'est ainsi ? lui dit le captif. C'est ainsi que vous voulez en finir avec ma vie, toi et tes amis mortels ? Isolé du monde ? Sa voix s'emplissait de colère.

Pas de réponse. Seulement et encore ce même regard.

Malgré ses mains liées, il trouva la force de se relever, et lui faire face. Son visage se rapprochant à quelques centimètres du sien, yeux dans les yeux. Cela n'effrayait pas son interlocuteur.