ASTRA

7.EREKO

                                Burt et Legna étaient en route pour retrouver leur père, chez eux, au sein du domaine familial. Il leur fallait deux bonnes heures pour parcourir la distance entre Tanis Mura et leur destination. Ils devaient traverser les interminables plaines verdoyantes de l'Abnas, tout en longeant la côte sud-ouest, leur donnant un spectacle de paysage ou se mêlaient terre et mer. Ce trajet leur laissait du temps pour échanger. Burt manœuvrait son chariot tiré par son cheval, allégé après la livraison, tandis que Legna chevauchait le sien aux côtés de son grand frère.

Alors que Burt semblait à nouveau perdu dans ses pensées, Legna brisa le silence.

– Bon, s'exprima-t-il, à en juger ta sale tronche, on dirait que j'ai passé une meilleure matinée que la tienne !

– C'est sur que toi, tu as du t'amuser répondit Burt, y'a qu'a voir ta gueule de simplet !

Les deux frères se regardèrent sérieusement, avant de laisser échapper un rire commun. Ils avaient pris l'habitude régulièrement de se moquer l'un de l'autre, chacun en appuyant sur les traits de caractère bien différents des deux hommes.

L'amour fraternel.

Legna vouait une admiration pour Burt. Au-delà du respect de l'ainé, c'est sa ténacité, son talent de forgeron et son intelligence qui l'avaient souvent impressionné. Son grand frère fut toujours là pour lui, parfois à endosser le rôle de père quand Gildman était ailleurs ; dans sa forge, ses pensées ou son vin. Bien que Legna avait été choisi par ce monde pour lui aussi posséder les dons d'Aïsa, il n'avait jamais voulu suivre l'entrainement, détestant la violence. Il fut beaucoup bousculé par les autres jeunes enfants de son âge par le passé, notoriété d'être le fils « de » se servant souvent de lui comme « victime ». Burt avait toujours été là pour protéger son petit frère, et quand Burt était présent, personne n'osait se heurter aux deux fils de Gildman. 

Quant à l'ainé, Legna était son refuge. Burt était — et encore aujourd'hui — un concentré d'énergie et de colère. N'ayant jamais effacé la douleur de la perte de sa mère ainsi que la rancœur envers son père ; il devint, avec les années qui défilaient, un homme solitaire, farouche et insociable. Il admirait chez son petit frère son aisance avec les gens, sa bonne humeur quotidienne, sa capacité qu'il avait à le sortir de sa carapace, l'espace d'un temps, et d'arriver à le faire rire, oubliant parfois sa dure réalité. Il l'enviait également qu'il n'ait pas connu Grédèsca, évitant ainsi une vie de peine telle que la sienne. Lorsque Burt s'emportait, devenait agressif, incontrôlable, ou plus récemment, trop alcoolisé, Legna était toujours là pour lui ; il l'apaisait.

Les deux fils avaient hérité du trop de fierté que possédait leur père, et ne se l'étaient jamais communiqués, mais au fond d'eux, ils le savaient ; ils s'aimaient plus que tout.

Burt n'en dit pas plus concernant le but de sa livraison chez Harrod et se garda de dévoiler sa mission du lendemain, évitant par la même occasion de divulguer la présence de deux déchus à Legna. Il ne souhaitait pas l'inquiéter.

Néanmoins, le message de Gildman qui leur était parvenu le tracassait. Gildman envoyait régulièrement Ereko par le passé, lorsqu'ils n'étaient encore que des enfants puis adolescents ; afin de les avertir de rentrer à la maison, avant la tombée de la nuit. Le temps s'était écoulé, ils étaient désormais des — jeunes — hommes, et Gildman n'avait plus besoin de les rappeler au foyer.

Burt jeta un coup d'œil vers le fameux messager, orientant son regard vers le ciel...

Ereko planait à travers le vent, survolant les prairies de l'Abnas, au-dessus des deux fils de Gildman.