ASTRA

6. FRÈRES D'ARMES

                           Lorsque Burt fut plus âgé et apte à découvrir ce qu'il s'était réellement passé, on lui expliqua que des déchus avaient eu raison de Grédèsca tandis que Gildman se battait en première ligne au côté d'Aïsa et d'autres élus. Au récit de Morroct, Burt ne montra aucun signe de faiblesse autour de la table d'Harrod, et garda ce souvenir pour lui malgré l'impact de cette révélation. 

Morroct continua son histoire et raconta la suite des évènements. Sous ses airs de charmeur et beau parleur se cachaient une ruse sans égale et une grande intelligence. Il expliqua qu'il avait réussi à ne pas se faire repérer par les deux déchus, trop concentrés à dévorer ce pauvre cerf, et aidé par la discrétion du chasseur acquise au fil du temps. Il retrouva sa conquête, et sans lui dire quoi que ce soit, annula leur rendez-vous, et la raccompagna chez elle à Tanis Mura. Il s'empressa alors de rendre visite immédiatement au seigneur de l'Abnas afin de l'alerter de cette présence inquiétante. L'enchainement des évènements devenait plus clair pour Burt, et ses questions obtenaient enfin des réponses.

Harrod ne voulait pas générer de panique dans sa ville. Il demanda ensuite à Morroct de rentrer chez lui, de se calmer et garder le silence jusqu'à ce qu'il trouve une solution pour remédier à ce « probleme ». Bien que deux déchus ne représentaient guère de menace pour le vieux guerrier, la raison de leur présence en Abnas, après vingt ans d'absence, le rendait non moins inquiet. Ce qui préoccupait Harrod au plus haut point, c'est qu'il était parmi les cinq seigneurs d'Astra, le seul à ne posséder aucune force armée, ni même de petite milice. L'Abnas n'avait jamais connu de conflits majeurs par le passé, et ce depuis plus de cinquante ans. Lorsque Léorian prit le trône d'Astra, il décida de ne pas affecter de soldats à la région la plus calme et pacifiste de ce monde.

Or, Harrod aurait bien besoin de ces hommes aujourd'hui.

Il n'en toucha aucun mot à Martha ni à sa fille, ne voulant en aucun cas les inquiéter. Il passa la nuit à réfléchir, et se convainquit rapidement qu'il devait s'en occuper lui-même. Personne ne serait au courant, évitant ainsi toute panique. Néanmoins, le vieux guerrier avait depuis toujours un principe qui lui valait d'être encore — presque — entier à ce jour :

Ne jamais sous-estimer l'ennemi.

Il fallait qu'il s'entoure de quelques alliés solides pour assurer le coup. Il n'aimait guère cette idée. Il savait le danger qu'il encourrait pour ces derniers. Si cette situation s'était passée, il y'a vingt ans, il s'en serait chargé lui-même. Mais le temps est assassin. Il n'avait plus mené un combat depuis l'ultime bataille qui leur avait donné la victoire, face à Valar. Serait-il apte à nouveau de brandir ses haches ?

Évidemment vieux briscard ! Pensa-t-il en souriant intérieurement .

Il ne lui restait plus qu'à trouver ses partenaires.

Il demanda dès le lendemain à ce que Morroct lui rende visite. Son premier choix était logique. Il était le seul à avoir aperçu les deux déchus, et capable de retrouver leur emplacement ou de les traquer. Son titre de meilleur chasseur n'était plus à vérifier, et un pisteur tel que lui serait indispensable pour cette battue.

Il fit la liste des hommes de la ville ou de la région qui seraient susceptibles de se mesurer à cet ennemi inconnu pour la plupart des habitants de l'Abnas.

Le nom de Braan lui vint en second. La quarantaine, plus mature que son premier choix et possédant un atout non négligeable ; il avait déjà combattu face à des déchus. Pendant la Grande Guerre, le jeune Braan s'était enrôlé dans l'armée du roi, afin de défendre ce monde qu'il aimait tant. Sa force et sa férocité avaient beaucoup impressionné Harrod, vingt-quatre ans plus tard lors du dernier concours de Tanis Mura. Harrod aurait besoin de son ardeur. Un guerrier de sa trempe ne serait pas de trop à ses côtés.