Nabooru

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- Je n'aurai peut-être pas dû laisser ce gamin entrer tout seul là-dedans...
Adossée à l'entrée du Colosse du Désert, Nabooru regardait vers l'intérieur et le passage étroit où avait disparu Link. Ce petit garçon devait avoir à peine 10 ans et pourtant, il avait réussi à traverser seul le Désert Hanté. C'était un véritable exploit pour un gamin hylien ! Il devrait bien réussir à trouver son chemin dans ce temple, n'est-ce pas ?
La Gerudo leva les yeux vers le ciel avec inquiétude. Elle avait vu les Twinrovas s'envoler loin de leur repaire un peu avant l'aube et espérait bien qu'elles ne rentreraient pas avant qu'elle ait fini ce qu'elle était venue faire ici.
Nabooru repensa à ce qui l'avait contrainte à venir jusqu'au Colosse du Désert malgré l'interdiction et elle sentit la rage l'envahir à nouveau. Comment la situation avait-elle pu lui échapper ainsi ? Comment n'avait-elle pas pu prévoir les plans de Ganondorf ?
Ganondorf... Son nom prenait un goût amer dans sa bouche désormais. Alors que ses yeux ambre se perdaient sur les dunes du désert, Nabooru repensa au seul homme que comptaient les Gerudos.
Ganondorf avait toujours fait partie de sa vie. Le moindre de ses souvenirs d'enfance la ramenait à lui. Quand elle était venue au monde, il était déjà adulé par leur peuple comme leur unique prince, leur futur roi. Celui qui, selon les prophéties, amènerait la gloire sur les Gerudos. Elle y avait tellement cru !
Dès qu'elle avait su marcher, elle avait suivi le garçon partout, comme toutes les autres. Toutes admiraient sa prestance, son caractère de feu. Toutes étaient impressionnées par ce qu'il dégageait même alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Nabooru n'avait pas fait exception. Mais la Gerudo n'avait pas voulu être une parmi d'autres. Elle avait voulu compter pour leur prince, pour leur futur roi. Alors, elle avait redoublé d'efforts pour ne pas être laissée à la traîne parce qu'elle était plus jeune. L’entraînement avait été difficile. Souvent, elle s'était endormie de fatigue, les mains et les pieds pleins d'ampoules à force de courir ou de tenir une arme. Parfois même, elle avait eu envie de pleurer tellement son corps était perclus de douleurs. Sa propre mère, une guerrière accomplie, avait tenté de la tempérer dans ses ardeurs, mais jamais elle n'avait abandonné. Et cela avait payé.
A peine était-elle entrée dans l'adolescence que Ganondorf avait fini par reconnaître ses mérites. Il fallait dire qu'elle l'avait vaincu au tir à l'arc monté, ce qui n'était encore jamais arrivé. Loin de le mettre en colère, le jeune homme n'avait pas caché son admiration. Dès lors, ils avaient été inséparables, à la fois rivaux et amis. Il n'avait pas été long à la surnommer « l'Exaltée », d'abord pour plaisanter, puis le surnom lui était resté.
Nabooru regrettait ce temps d'insouciance, les longues nuits en duo passées dans le désert à poursuivre une proie ou à simplement profiter du silence. Ganondorf n'avait jamais été un grand bavard et son statut impliquait qu'il ne laisse jamais transparaître ses émotions ou ce qu'il pensait vraiment, mais avec elle, cela avait été différent. Lorsqu'ils étaient seuls, il se laissait parfois aller à quelques confidences sur ses pensées profondes ou encore ce qu'il apprenait de ses mères adoptives, les très respectées sœurs Twinrova qui l'avaient élevé. Si la jeune fille était déjà admirative du guerrier et du prince, l'homme qu'il était sous le vernis avait fini par donner naissance à d'autres sentiments qu'elle avait longtemps gardé pour elle. Pour rien au monde, elle n'aurait voulu gâcher leur relation, et encore moins n'être pour lui qu'une parmi les autres.
Les années passant, elle l'avait vu céder aux charmes des autres femmes, mais il était toujours revenu vers elle. Ce qui les liait allait bien au-delà du reste, bien au-delà même de ses propres sentiments. Ils étaient plus que des amis, plus que des amants. Ils étaient soudés comme les doigts de la main, protégeaient toujours les arrières de l'autre. Il leur arrivait souvent de finir les phrases de l'autre ou qu'un seul regard complice suffise pour partager la même idée. Ensemble, ils étaient capables de tout et Nabooru était alors persuadée qu'elle serait à ses côtés lorsqu'il accomplirait la prophétie que les Twinrova avaient annoncé des générations auparavant. Il y avait tellement cru... La déception était cruelle et à la hauteur de la foi qu'elle avait eu en celui qui avait partagé son existence pendant si longtemps.
Comment n'avait-elle rien vu venir ? Avait-elle été à ce point aveuglée par ses sentiments et l'admiration qu'elle portait à son ami ?
Ces dernières années, il avait commencé à changer, à se fermer petit à petit à toutes et même à elle. Il était devenu froid, distant, plus autoritaire. Il se rendait de plus en plus souvent au Colosse du Désert et s'y enfermait des jours entiers avec les Twinrovas pour en ressortir toujours plus changé. Pourtant, elle avait continué à croire en lui, aux plans qu'il échafaudait pour mener les Gerudos hors du désert et à la gloire. Elle avait approuvé lorsqu'il avait décidé d'établir un traité de paix avec le roi d'Hyrule et de rejoindre son alliance aux côtés des Gorons et des Zoras. Ce n'était pas une idée nouvelle, ils en avaient souvent parlé ensemble par le passé, pourtant son instinct lui avait aussitôt soufflé que quelque chose ne tournait pas rond. Elle s'était tue et n'avait pas cherché à contester ses décisions, même alors qu'il mobilisait tout leur peuple afin que les Gerudos soient prêtes à partir à la conquête d'Hyrule.
Nabooru avait finalement demandé des explications et pour la première fois en 15 ans, ils s'étaient violemment disputés. Pire encore : elle n'avait pas reconnu l'homme qui s'était dressé devant elle, la menaçant du pire si elle ne se pliait pas à ses ordres et ne s'agenouillait pas devant lui.
A ce souvenir, Nabooru écrasa rageusement l'unique larme qui roulait sur sa joue halée par le soleil. Elle avait perdu Ganondorf et elle pressentait que c'était définitif. Seulement, il était hors de question qu'elle perde aussi son peuple. La voie du sang n'était pas la solution pour les Gerudos. Le verser n'avait jamais dérangé la jeune femme, mais la soif de conquête qu'elle avait lue dans les yeux de son ancien ami ne les mènerait qu'à leur perte. Elle devait protéger les siennes coûte que coûte, et pour cela, elle devait couper Ganondorf de l'influence de Koumé et Kotaké.
Nabooru soupira et regarda encore une fois vers l'intérieur du temple. Le gamin au bonnet vert n'en était toujours pas ressorti. Elle venait de se décider à aller voir ce qu'il trafiquait quand un rire de crécelle la cloua sur place.
- Gnihihi, tu vois c'que j'vois, Koumé ?
- Gnahaha, mais on dirait bien la p'tite Nabooru, Kotaké !
Nabooru se retourna d'un bloc, sortant son cimeterre. Les deux sorcières, à cheval sur leurs balais, volaient devant elle d'un air menaçant. La jeune femme laissa échapper un juron. Elle s'était faite surprendre et cela risquait de mal se terminer ! Elle n'allait toutefois pas se laisser tuer sans résister. Ce serait mal la connaître !
Dans un cri de guerre, Nabooru sauta en direction de Koumé pour tenter de la faire tomber de son balai, en vain. Le cri de rage se transforma en cri de douleur quand la magie de Kotaké atteint la jeune Gerudo de plein fouet.
- Gnihihi, elle croyait pouvoir s'attaquer à nous, Koumé ?
- Gnahaha, on ne peut pas la laisser faire, Kotaké.
- Gnihihi, son influence est bien trop grande au sein des Gerudos...
- Il ne faut pas la laisser contrecarrer les plans du Seigneur Ganondorf, gnahaha.
Nabooru, serrant les dents, voulut se relever. Peut-être que si elle arrivait à courir assez vite, elle pourrait les perdre dans la tempête du Désert Hanté ? Mais à peine avait-elle réussi à se mettre sur ses deux pieds que le sol se déroba sous elle. Un vortex de magie noire venait de s'ouvrir, l'entraînant comme des sables mouvants.
- Nooooon !
Nabooru avait beau se débattre, elle s'enfonçait toujours plus. Les larmes aux yeux de désespoir et de frustration, elle maudit les Twinrovas avant d'apercevoir, loin au-dessus d'elle, sur la main droite du colosse de pierre sculpté sur la façade du temple, le bonnet vert du gamin à qui elle avait demandé les gantelets d'argent.
- Sauve-toi ! Lui cria-t-elle. Sauve-toi d'ici !
Dans un dernier cri, Nabooru disparut, avalée par le vortex magique. Alors que le ciel disparaissait à sa vue, elle se sentit étouffer. Il n'y avait pas d'eau, rien que du vide, mais il lui semblait qu'elle se noyait. Le dernier visage qui lui apparut fut celui de Ganondorf, au temps où il était encore son ami, mais sa dernière pensée fut pour son peuple : pourvu qu'il n'arrive rien aux Gerudos.

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