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   9h59... Sonne, sonne, je t'en conjure sonne vite !!
Driiiiiing !!!
   Enfin... Je jette mes affaires dans mon sac, et sors de la classe la première, refermant ma bulle tout autour de moi, protection nécessaire contre... Contre tout. Je dévale les escaliers, encore plutôt vides quelques secondes après la fin des cours.
   Mes jambes puisent la force d'encore accélérer le pas jusqu'aux toilettes. Les toilettes sont le seul endroit où on peut avoir un semblant de paix. Même si ça ne dure jamais longtemps.
   Je me rue dans la première cabine venue, sans prêter attention à l'urine sur le sol, on s'habitue à force. Je m'assois, et ouvre mon sac comme une sauvage. Respire, bientôt ça ira...
   J'en sors ma trousse. Ma trousse est une fresque qui représente très bien ma vie ici. Je fais tout mon possible pour ne pas lire ce qui est écrit dessus. Je résiste à peine quelques millièmes de secondes.

"Sale pute"

"Vas crever grosse dégueulasse"

"Grosse vache"

"L'obèse"

"Meuhmeuh la grosse vache"

"Va te faire enculer salope"

"Tu me dégoûtes"

"Vas à l'abbatoir comme tes sœurs on veut pas de toi"

   Chaque lettre gribouillée est un poignard qui me transperce le cœur. Qu'est-ce que je leur ai fait ? J'ai forcément fait quelque chose, on ne poignarde pas quelqu'un sans raison, mais ça me tue de ne pas connaître ma faute. Si seulement je savais, je pourrais m'excuser, me racheter ! Pourquoi on ne me dit rien ?!
   J'ouvre ma trousse avec rage et plonge ma main dedans, à la recherche de ma meilleure amie. Quand mes doigts se referment sur elle, une vague de bonheur m'envahit. Maintenant, ça ira. Je la sors vite, et remonte la manche de ma parka, puis celle de mon pull.
     Ça y est.
   Ma meilleure amie me caresse le poignet, une fois, puis deux, puis vingt... De plus en plus franchement, elle se laisse aller et caresse avec plus de force, libérant toute son affection. "Grosse Vache, Grosse Vache, Grosse Vache, Grosse Vache, Grosse Vache, Grosse Vache" . Sans même que je m'en rende compte, les larmes chaudes coulent de mes yeux, et se mélangent avec celles, carmin, que pleurent mes bras.

                                     *

   J'essuie ma meilleure amie, pleine de larmes, dans un mouchoir, puis la range dans ma trousse, et referme mon sac. Je me relève, portant toutes ces insultes sur mon dos, en plus de mes kilos en trop. Je balance mon sac sur une épaule, prends une grande inspiration, et ouvre la porte de ma cabine.
   Quand je sors, toutes les filles restées collées au chauffage avec leur portable me toisent, comme un chewing-gum collé à leur chaussure. Un chewing-gum obèse, bien sûr.
   Je sors sans les regarder, le regard obstinément rivé sur le carrelage incrusté de crasse, de terre, et de morceaux de feuilles mortes. Je regarde ma montre, et calcule qu'il reste encore une minute et dix-sept secondes avant la reprise des cours. Ça va passer vite, personne ne peut me poignarder en si peu de temps.
Une minute seize...
Une minute quinze...
Une minute quatorze...

  - Hé ! Salope ! Hé ! T'es sourde ?! J'te parle putain !
  

Regardez-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant