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   Sarah a passé tout le cours à essayer d'engager la conversation, et moi, à lui dire de se taire. Il ne me manquerait plus que des heures de colle ! Alors forcément, à l'interclasse, elle ne m'a pas lâchée d'une semelle. 

   C'est certainement parce que je n'ai pas vraiment l'habitude qu'on s'intéresse à moi pour autre chose que mon potentiel à me faire insulter, mais je trouve vraiment ça fatiguant de devoir répondre à son interrogatoire sans aucune pause. J'aurais encore préféré que ce soit une narcissique dans l'âme et qu'elle passe des heures à me raconter toute sa vie. Au moins, je n'aurai pas eu à trop parler.

   Je me rends compte que je suis vraiment insupportable, je lui demande de me suivre partout comme un petit chien, et puis c'est moi qui la trouve trop collante ! En même temps, après ce qu'elle m'a fait, j'ai bien le droit de faire un peu ma difficile. 

   L'heure d'histoire, où je suis à une table seule, s'annonce comme une délivrance. J'ai eu ma dose d'amitié pour aujourd'hui, merci bien ! 

   Ou pas... 

   Quand je vois Sarah se diriger vers le prof, je ne comprends pas vraiment. Lui non plus apparemment. Elle n'est pas vraiment le genre d'élève qui va vers les profs. Ni vers leur salle d'ailleurs. Quand elle commence à parler, et que son interlocuteur me jette un regard, je ne suis toujours pas sûre de comprendre, mais je sais qu'elle lui parle de moi. Quand il hoche la tête, puis que ma nouvelle super-copine se dirige vers moi, je commence à paniquer. Pas ça, pas ça ... Et si, c'est ça.

 - Je lui ai demandé si je pouvais changer de place pour pouvoir m'assoir à côté de toi. Il a directement accepté ! J'ai pensé que tu pourrais m'aider, t'as des notes de fou toi, et moi ben... Tu vois quoi. 

 - Super... 

   C'est vrai que j'ai le mérite d'avoir de très bonnes notes, mais c'est seulement parce qu'il fallait que je me trouve une occupation pour oublier un peu l'horreur du collège, et tant qu'à faire, j'ai choisi les études. Et puis, quand on a pas d'amis, on a plus de temps pour réviser. Mais je n'ai pas vraiment envie de me confier sur ça pour l'instant. Et surtout, le cours va commencer, et j'aimerais réussir à être attentive. Cependant, je juge bon de la prévenir: 

 - Tu sais, c'est pas contre toi, mais si tu pouvais éviter de trop me parler... Si je ne peux pas écouter, je ne pourrai pas te réexpliquer après. 

   Elle hoche la tête, légèrement déçue. Mais je ne vais pas pleurer sur son sort non plus. Je peux enfin essayer de me concentrer, et de comprendre quelque chose aux défis démographiques de la Chine. 

   Alors que je recopie la carte mentale qui est au tableau, je vois Sarah prendre ma trousse. Instinctivement, je panique. La moitié de ma trousse est noirçie de ses mots, et la perspective de nouveaux poignards à m'enfoncer en plein cœur dans les toilettes me met immédiatement les larmes aux yeux. Et puis je me rappelle qu'elle n'est pas censée me faire de mal, puisque nous sommes "amies". Elle repose enfin ma trousse et je peux voir son inscription au surligneur rose, qui recouvre toute les autres : 

                                  E+S
                                     =
                                  BFF

   Je souris, émue par son geste. Peut-être qu'elle l'a simplement écrit de cette manière, par dessus les autres, parce qu'il n'y avait plus de place. Mais, pour moi, c'est comme si elle avait fait disparaitre tout ce qui me faisait du mal, ce qui m'a pourrit la vie tout ce temps, pour ne laisser plus que ce renouveau, cette nouvelle amitié entre nous. Et ça me fait vraiment chaud au cœur. 

Regardez-moiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant