SIX MOIS AUPARAVANT
Une belle jeune femme aux longs cheveux bruns attachés en une sombre natte attendait, assise sur un toit qui donnait sur les hauteurs de sa ville. D'ici, elle pouvait quasiment voir chaque habitant d'Olya, des ailés qui couraient, discutaient, bousculaient, volaient... Avec sa vision perçante, elle distinguait de petits bouts de vie de ces gens, quasiment tous pauvres, ces détails futiles lui faisaient adorer ou détester la capitale de sa planète natale : les enfants de douze ans à peine qui mendiaient tandis que d'autres riaient ensemble alors qu'ils n'avaient sans doute pas mangé depuis plusieurs jours au vu de leur ventre amaigri ; une femme en haillons qui donnait un peu de viande à une fillette de six ans ; un blondinet aux courtes ailes marrons qui s'entraînait à voler sous les encouragements d'autres jeunes de son âge. C'était cela la force des pauvres d'Olya, peu importe la galère dans laquelle il se trouvait, l'entraide et le rire restaient leurs meilleures armes.
Ariane adorait cet endroit surélevé d'où elle pouvait observer les étoiles lumineuses et les deux satellites d'Alyon : Nyx et Iris, le premier était un astre rocheux inhabité, la légende contait que c'était la déesse de la Nuit en personne qui l'avait façonnée de ses mains, le deuxième était une lune verdoyante où vivait quelques fées, ces êtres lumineux aux ailes fragiles, descendants des même ancêtres que les ailés, sauf qu'eux avaient perdu en puissance et en vitesse pour gagner en grâce et en beauté. Le ciel était un tableau merveilleux que la jeune ailée détaillerait pendant des heures si elle le pouvait. C'était pour cette raison qu'elle adorait tant ce toit, elle en avait même fait son lieu de rendez-vous avec sa meilleure amie qui était par ailleurs en retard, comme d'habitude.
Ariane ne s'en étonnait même plus, elle avait prévu de quoi s'occuper car elle savait bien que son amie prendrait du temps avant de la rejoindre. Elle lisait un vieux magazine people qu'elle avait trouvé par terre, dans une rue passante de la capitale. C'était mieux que les déchets habituels mais moins intéressant que les restes alimentaires qu'elle dénichait parfois. Enfin, Artémis serait enchantée, il y avait une photo de Robyn en première page. Le beau prince avait fait flasher son amie, alors qu'elle ne le voyait qu'aux travers des journaux qu'elle ne parcourait pourtant que très rarement.
— Tu regardes quoi ?
Une jolie rousse s'assit avec agilité aux côtés de son amie qui ne prit même pas la peine de relever la tête de son magazine.
— Robyn sort avec Fan, tu le savais ?
— La fille blanche comme un cul de la planète des Bisounours ?
La brune étouffa un rire avant de répondre.
— Si tu parles de Fan d'Héméra, alors oui, c'est elle. Ah, et elle a aussi eu le titre de Miss Univers.
— La p'tite princesse a vraiment été élue ?!
Le visage d'Artémis prit un air étonné. Elle ne suivait pas vraiment les nouvelles et les rumeurs qui faisaient pourtant fureur chez les adolescentes plus fortunées. Mais la jeune rousse avait bien plus important à faire que suivre les actualités de l'univers, survivre par exemple.
— Ouaip, contre son gré. Elle ne s'est jamais présentée.
— Mouais, elle voulait juste faire parler d'elle en gagnant sans même assister au concours.
Artémis était particulièrement négative et voyait le mal partout. Ainsi, selon elle, si une personne faisait preuve d'altruisme, c'était forcément qu'elle attendait quelque chose en retour. La vie lui avait appris à se méfier de tout et de tout le monde. Elle ne vivait pas dans un monde merveilleux où chacun était la bonté incarnée, non, son monde à elle était merdique. Elle en était pleinement consciente et elle faisait avec.
— Je pense pas. Fan ne devait pas vouloir être rabaissée au rang de bel objet.
Ariane était tout son contraire. Bien qu'elle vive dans le même monde que son amie, elle préférait n'y voir que le bien. Ce n'était pas de la naïveté, après tout, elle aussi avait eu le droit à une enfance mouvementée et souvent déprimante. Non, la brune avait parfaitement compris que la vie était injuste, elle n'avait pas choisi d'être née dans une famille pauvre qui avait été obligée de l'abandonner à trois ans, elle aurait tout aussi bien pu naître une cuillère d'argent à la bouche comme les princes et les princesses tels que Robyn et Fan. Elle préférait simplement se concentrer sur les étincelles joyeuses de sa vie merdique plutôt que de rester focaliser sur les injustices qu'elle ne pourrait de toute façon pas changer.
— Donc, ils sont ensemble, Robyn et l'autre-là ?
— Faut croire. Un journaliste les a surpris à s'embrasser lors d'une réunion diplomatique au Lycio.
Le Lycio était un royaume agricole très en vogue ces derniers temps auprès des touristes surtout pour sa flore luxuriante et sa faune sauvage. Son prince héritier Robyn était chargé d'accueillir les différents dignitaires étrangers comme la douce Fan, la petite dernière de la famille royale d'Héméra, qui était d'une beauté louée dans l'univers entier.
— Merde, encore un beau gosse de moins.
— Il reste Mathéo.
Mathéo était le fils unique de la reine d'Alyon, la terrible Adélaïde. Il ne pouvait certes pas concurrencer Robyn mais ses cheveux châtains perpétuellement décoiffés, sûrement pour se donner un air décontracté, et ses yeux onyx faisaient quand même des ravages chez la gent féminine.
— Ce fils de pute ?! Même pas en rêve !
Artémis haïssait sa reine qui n'en avait rien à faire des habitants les plus pauvres de son peuple qui étaient pourtant les plus nombreux. Alors, elle détestait aussi son fils qu'elle rendait responsable par affiliation des problèmes gouvernementaux de sa mère.
— Tu sais, ce n'est pas sa faute si sa mère est une connasse.
Ariane était d'accord avec son amie sur un point, leur reine se fichait complètement de la situation de ses sujets pas plein aux as. Mais elle ne pensait pas qu'il fallait pour autant rendre son fils responsable de sa politique.
— Ce n'est pas ma faute non plus. Et puis, Monsieur le Prince ne fait pas grand chose pour empêcher que des gosses meurent de faim dans la rue.
— De son château, je doute qu'il sache tout ce qu'endure ses sujets.
— Il devrait descendre un peu de son palace pour voir comment vit son peuple. Il a le même âge que nous, pourtant, il n'a pas le quart de notre expérience.
— Il n'a pas la même espérance de vie non plus.
— Et alors ?
— Tu ne vis pas pareil quand tu meurs à 90 ans et à 30.
Artémis haussa un sourcil suspicieux. Qu'est-ce que cela changeait ? Elle décéderait, au plus tard, à 30 ans, donc elle vivait en conséquence. Elle profitait de chaque seconde comme si c'était la dernière car justement, il y avait de grandes chances que ce soit le cas. Mais, pour Mathéo, où était la pertinence de sa mort qui serait sans aucun doute une mort de vieillesse ? Elle, elle crèverait de faim, de maladie ou de soif, pas lui, et alors ? Qu'est-ce que ça change ?
UN MOIS AUPARAVANT
Si Ariane avait été en mesure de positiver, elle se serait sûrement dit qu'au moins Artémis n'avait pas gâché sa vie. Elle avait vécu chaque seconde de sa vie merdique comme si c'était la dernière, et, aujourd'hui, ça avait été le cas. La jeune femme aussi libre que le vent était morte comme elle avait vécu, avec panache et rébellion.
MAINTENANT
Le souvenir de la défunte ailée dansant dans son esprit fatigué, Ariane se rappela cette discussion qu'elle avait eue avec la rousse en croisant le regard sombre de Mathéo. Finalement, c'était Artémis qui avait toujours eu raison, son prince n'était qu'un assassin, un tueur qui lui avait pris sa meilleure amie.
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Ariane, Tome I : Artémis
FantasiAriane avait tout perdu : sa meilleure amie Artémis, tuée sous ses yeux ; ses espoirs pourtant peu nombreux ; et même ses rêves alors qu'ils n'étaient pas franchement incroyables. Était-il possible d'avoir une vie plus misérable que la sienne en ce...