Des gradins, une foule hurlante, un sol recouvert de sable, et même un peu de sang oublié ici ou là, pourrissant sous la chaleur, excitant par son odeur les combattants.
L'Arène portait bien son nom.
Un champ de bataille. Un lieu où la vie et la mort se côtoyaient de si près qu'elles s'en confondaient.
Les spectateurs frémissaient d'avance, trépignant à l'idée de voir deux valeureux prédateurs se battre pour leur survie. Ils voulaient voir du sang et des morts et ils auraient les deux, comme toujours.
La victime du jour se tenait au milieu du terrain, indifférente aux hurlements et aux odeurs. Seul comptait le ciel. Ce ciel si haut, si inaccessible. Ses tortionnaires s'imaginaient qu'il envisageait de s'échapper. C'était faux. Il n'avait jamais eu accès au ciel, n'avait jamais eu d'ailes. Mais sa symbolique, la liberté qu'on lui avait retirée, résidait toute entière dans ce bleu, dans ces nuages.
Il ferma un instant les yeux pour mieux ressentir le vent sur sa peau, caressant son épiderme, portant avec lui les odeurs de la nature. La forêt lui manquait. Ici tout n'était que pierre et béton, acier et plastique. Il détestait cela.
Un cri parvint à percer la muraille qu'il s'était fabriquée et il rouvrit les yeux avant de tourner la tête. Son adversaire arrivait. Il savait qu'il n'avait aucune chance. C'était fini pour lui depuis le moment où on l'avait capturé, il en avait conscience. S'envoler était impossible. Même s'il en avait eu la capacité, ses ennemis étaient prêts à le descendre immédiatement. Il pouvait aussi battre son adversaire du jour bien entendu. Mais il s'affaiblissait, il perdait la raison. S'il survivait aujourd'hui alors ce serait la dernière fois.
Les doubles portes cédèrent lorsqu'une montagne de muscles les percutèrent de plein fouet et le tigre se rua sur le sable. Droit sur lui. Le public hurla, plus enthousiasmé que jamais. Voir un homme tenter de survivre aux griffes et aux crocs acérés d'une telle bête, rendu plus létale encore par la substance qu'on lui avait inoculée, était un jeu pour eux. Une simple distraction. Pour lui c'était un pas de plus vers la folie. Et vers la mort. Mais la mort ne lui faisait pas peur, elle.
Il sentit la Bête en lui rugir, enhardie par le défis qui se présentait, par la menace qui pesait sur elle. Ses muscles se contractèrent, sa bouche s'ouvrit sur un rictus enragé et un hurlement bestial s'échappa de sa gorge, provoquant les hués des spectateurs. Un instant plus tard il se ramassait sur lui-même, observant de ses iris devenues jaunes, le tigre qui continuait sa course mortelle.
Le félin arriva sur lui et il admira un instant la beauté de l'animal. Les muscles puissant roulant sous sa fourrure, ses crocs à la blancheur irréelle, l'éclat cruel de ses iris luisant de haine. Périr par une telle créature aurait pu être un honneur. Mais ils étaient deux prisonniers, rendus aussi fous l'un que l'autre, poussés au bout de leur colère, de leur peur. Et la Bête n'était pas prête à rendre les armes.
Alors qu'une patte aussi grosse que sa main se tendait vers lui, toutes griffes dehors, il se jeta en avant et roula sous les pattes de l'animal. Celui-ci, déstabilisé par le comportement de l'humain, dérapa sur le sable en faisait demi-tour, repartant immédiatement à l'attaque. Il ne trouva que le vide en face de lui avant de sentir son poitrail craquer sous la violence d'un coup de poing, le contraignant à reculer de quelques pas. Le tigre, devenu méfiant, ralentit sa vitesse et prit le temps d'observer sa proie. Son esprit brisé était incapable de jauger correctement l'humain qu'il avait en face de lui, il était incapable de déceler la véritable menace.
Il attaqua de nouveau, la patte en avant, visant la gorge. Ses griffes percèrent la peau, le flan, déchirant le tissu et faisant couler le sang. Un rugissement retentit, non de l'homme mais de l'animal. Un coup de tête l'avait cueilli à la mâchoire, la lui brisant, et l'humain avait profité de la diversion créée par sa douleur pour lui saisir une patte arrière et la tirer avec tant de force qu'elle s'était disloquée.
Clopin-clopant, le tigre recula, cherchant à se mettre à l'abris de sa proie qui n'en était définitivement pas une. Recouvert de son propre sang et de celui de son ennemis, l'humain poussa un nouveau hurlement, bestial, effrayant. Le combat, l'adrénaline, le sang, tout cela le rendait fou, laissait la Bête avide de violence et de mort, et il ne parvenait pas à la contrôler. Il en oubliait sa situation précaire, la victime collatérale en face de lui, son dégoût de la cruauté. Seul comptait désormais la victoire, le désir d'écraser son adversaire et de répandre son sang sur la sable de l'arène.
Enragé, il passa à l'attaque. Plus rapide encore que le félin, il lui fonça dessus, ne songeant pas une seconde à éviter les griffes dans son dos qui déchirèrent sa chemise, les crocs sur son cou cherchant à lui briser la nuque. Plus fort que ne devrait l'être un être humain, sa main plongea à l'intérieur du corps, brisant les os, éclatant les organes, et ses doigts se refermèrent sur la palpitant battant de l'animal qu'il arracha, imitant le feulement de douleur du tigre. Le bras luisant de rouge, il le retira du poitrail et son adversaire resta un instant encore figé avant de s'effondrer lentement sur le sol.
Le public se mit à hurler, comprenant difficilement ce qu'il s'était passé. La Bête, enhardit par sa victoire, inconsciente de sa monstruosité, leva le bras, le cœur serré dans son poing. Ovation, huée, sifflement. Sa victoire, son audace, sa puissance furent accueillis avec un plaisir malsain alimentant sa satisfaction de montrer qu'elle était puissante, qu'elle était un véritable prédateur. Apaisée par sa victoire, la Bête céda la place aux commandes à sa part humaine et son bras retomba mollement, l'organe s'écrasant sur le sol.
Il observa l'animal, toujours aussi magnifique dans sa mort, toujours aussi puissant et noble. Il tomba à genoux tout près de sa tête et caressa doucement sa fourrure, la lissant, bourrelé de remords qu'il était. Il avait survécu mais il n'avait pas gagné.
Il tendit la main pour fermer les yeux du fauve, se donnant la vaine illusion qu'il dormait. Quelques perles de sang goutèrent sur le pelage, comme si le tigre, conscient de leur sort à tous les deux, pleurait des larmes d'hémoglobine. Il leva de nouveau le regard vers le ciel, peignant son visage de sa main souillée. Ses blessures commençaient déjà à se refermer.
Dans son dos, les perles rouges s'échappant de son cou glissaient lentement sur son tatouage. Les seules ailes qu'il aurait jamais.
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Chrono Challenge
RandomUne heure pour écrire sur un thème choisi parmi trois, et voilà !