Vendredi 7 décembre

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20h46. Dans le centre, tous les commerces sont clos depuis trois quarts d'heure. Certains, comme la pharmacie, ont baissé un rideau de fer. D'autres ont sur la devanture, faiblement éclairée, une espèce de voile métallisé qui laisse entrevoir l'étalage dans une lumière tamisée. Les illuminations de Noël sont en partie éteintes, les fausses rues dans une semi-pénombre. Les gens que je croise ont un aspect fantomatique. Plus que les autres soirs où je vais tardivement à Auchan - seul ouvert avec le McDo et le Flunch -, sentiment de désolation. La féerie s'est éteinte jusqu'à demain matin. Je pense à une nouvelle troublante de Jon Reymond, De jeunes corps, dans laquelle une fille et un garçon se trouvent enfermés toute une nuit dans un magasin d'un centre commercial sans pouvoir en sortir par crainte de déclencher l'alarme.

Toute la lumière est réfugiée dans l'hyper, assez vide. Dans l'espace de parapharmacie, la vendeuse emballe mon shampoing et encaisse le paiement sans interrompre sa conversation au téléphone. Le soir, aux approches de la fermeture, il y a une forme de relâchement autorisé, de lenteur lasse dans l'attitude du personnel.

Les rayons sont imperceptiblement chamboulé. Troué. Il n'y a plus de sucre glace. Palette à demi vides. Impression d'arriver au banquet quand les convives sont partis.

Comme d'habitude, je remarque que la clientèle du soir, plus jeune, plus diverse ethniquement, contraste avec celle du jour. L'heure des courses ségrègue les populations de l'hyper. Le matin tôt, c'est le moment des couples de retraités, lents et bien organisés avec leurs cabas personnels dans le caddie, leur chéquier, dont ils détacheront soigneusement la chèque à la caisse, en n'oubliant pas de noter le montant payé sur le talon.

Au milieu de l'après-midi, il y a beaucoup de femmes seules - qui font leurs courses avec leurs poussettes de marché en tissu plastifié, signe qu'elle sont venues à pied ou en bus, parce qu'elles sont ne savent pas conduire, ou qu'elles ne disposent pas d'une voiture.

À partir de 17 heures, afflux des gens qui sortent du travail. Un tempo rapide, bousculant, s'empare des lieux. Ecoliers avec mères. Lycéens. Entre 20 et 22 heures, des étudiants et, plus rares à un autre moment du jour, des femmes en longues robes et voiles amples toujours accompagnées d'un homme. Est-ce que ces couples choisissent le soir par commodité ou parce qu'il se sentent moins dévisagés à cette heure tardive et de moindre fréquentation?

Il y a des gens, des populations, qui ne se croiseront jamais.

Le journal municipal m'apprend que 130 nationalités sont présentes sur l'ensemble du territoire de Cergy. Nulle part ailleurs elles ne se côtoient autant qu'au centre commercial des Trois-Fontaines, à Auchan. C'est ici que nous nous habituons à la présence proche des uns et des autres, mus par les mêmes besoins essentiels de nous nourrir, nous habiller. Qu'on le veuille ou non, nous constituons ici une communauté de désirs.

Depuis quinze ans, ce n'est pas la présence des "minorités visibles" que je remarque dans un lieu,, c'est leur absence.

Regarde les lumières mon amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant