LA.

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Ana m'a forcée à sortir boire un café aujourd'hui, c'est Dimanche et nous ne répétons pas ce jour-là. Je n'ai pas le cœur à ça, et je dois avouer que je suis très fatiguée depuis ce matin. J'ai passé la nuit à chercher des informations, bercée par l'illusoire espoir de le revoir, de lui reparler, de renouer avec ce souvenir si délicieux, mais rien. C'est comme s'il n'avait jamais mis les pieds dans la capitale, comme si j'avais rêvé ce moment. Je jetai un œil à mon appartement pour penser à autre chose. Mes cartons n'étaient pas tous défaits, mes pointes gisaient au sol comme mortes, usées et salies... Je devrais vraiment ranger lors de mon peu de temps libre, mais les timides rayons du soleil qui traversèrent la pièce à ce moment précis me firent renoncer. Mes yeux se fermèrent, et je vis son visage à nouveau. Mon obsession redevient malsaine, j'ai déjà assez perdu la tête avec ça dans le passé alors il est temps d'accepter l'invitation d'Ana et de se remettre à vivre. Tu vis à Paris, tu en as toujours rêvé, ne gâche pas tout pour un souvenir du passé qui te ronge. Je m'emmitouflais dans mon écharpe, relevais mes cheveux en chignon et partis en courant. Elle m'accueillit avec son éternel sourire et ses yeux bleus intenses de Caucase. Le café qu'elle avait choisi été chaleureux et vintage, le tout niché au cœur du quartier latin qui s'animait déjà en ce début d'après-midi. Cette journée me faisait penser à la chanson de Lana Del Rey « Video game », tout s'écoule aussi lentement que son tempo, nous entraînant sans le vouloir avec son air à la traîne et meurtri en son for intérieur. Tout comme mon cœur d'enfant de l'époque qui n'avait pas encore totalement cicatrisé à ce que je devinais.

-Je m'inquiète pour toi.

Sa phrase avait rebondi sur ma carapace dans laquelle je tentais de m'envelopper. Je me sentais vulnérable et c'est une sensation très désagréable je dois avouer. Elle continua à m'expliquer à quel point mon état lui semblait préoccupant, que j'étais ailleurs depuis quelques temps, que je ne mangeais plus. Je m'enfonçais dans mon siège sans répondre, c'était vrai, je retombais dans mes vieux travers, comme à l'époque. Je restais dans ma bulle jusqu'à ce que son nom sorte tout seul de ma bouche, comme une prière inachevée, un aveu honteux. Bon d'accord, j'ai peut-être besoin d'en parler en fait ? Ce poids commence à peser et je vais devenir folle à continuer mes recherches sans buts ni raisons. Elle s'immobilisa et j'osai enfin la regarder. Ana et moi nous connaissions depuis 13 ans, elle m'avait vu tomber amoureuse de lui sans jamais que je lui en parle. Elle m'avait vu rentrer à l'internat le lundi la tête dans les nuages, le regard toujours perdu, les mains tremblantes le vendredi soir en repartant. Mais surtout, attendant le courrier pour me cacher dans les vestiaires et y passer des heures seules pour lui écrire, le lire, l'aimer. Elle l'avait compris, elle l'avait lu en moi. Je n'avais pourtant jamais rien dit. J'étais pire qu'une pierre tombale et têtue comme une mule à l'époque !

-Quand ?

Je lui expliquais grossièrement notre rencontre, ma réaction, la sienne, nos regards, mon départ précipité, mes regrets. Elle m'écouta attentivement et ne dit rien. Il n'y avait pas grand-chose à dire après tout, mais elle découvrait enfin l'histoire complète 10 ans plus tard, et apprit qu'il m'avait laissée un jour sans un mot. Je lui avais pour ainsi dire pardonné, mais pas elle. La fin de la conversation fut plus calme, et nous ne tardâmes pas à quitter le bar. En poussant la porte, je remarquais des couleurs vives sur la porte qui n'y étaient pas lorsque j'étais rentrée. En plissant les yeux, j'y décryptais des mots, des instruments, des chansons. Mais ce fut un nom, comme un signe qui arrivait enfin, qui attira mon regard et me fit lâcher la porte. Abel Lopez, Mercredi, au Chat noir, 22h. 

Pas de deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant