CODA.

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14 Novembre 2019, Opéra Garnier, Première de « Giselle »

La première était enfin arrivée. Aveuglée par les lumières de mon miroir, je tentais tant bien que mal de faire tenir la tiare de l'acte II sur ma tête. La couturière m'avait assuré que bientôt, ça ne serait qu'une formalité lorsque j'aurai pris l'habitude, mais pour l'instant je ne savais pas encore trop m'y prendre. Ma mère m'envoya un message au moment où je me levais pour échauffer mes chevilles. « Ton père aurait été très fière de toi ».

-10mn mademoiselle Layla.

J'acquiesçai, refoulais une vague de tristesse au souvenir de mon père, et sortis de ma loge. Je trouvais Ana plantée derrière le rideau à regarder la salle se remplir. Elle sursauta en m'apercevant et vint me féliciter une fois de plus pour mon rôle. Ce soir, j'incarnerai le rôle principal de Giselle et j'étais simplement tétanisée. Mais le doux sourire de mon amie slave me rassura. Nous avions fait énormément de chemin pour en arriver là, et même si mon cœur me jouait des tours quelque fois au souvenir de mon beau pianiste, je ne regrettais rien à mon parcours, où encore à mes choix. J'étais là où je rêvais d'être, et j'avais vécu ce que je voulais vivre. Désormais, je ne visais plus dans l'attente, mais dans le présent comme seul maître mot.

-10 secondes !

Une technicienne m'emmena avec une petit lampe torche sur ma marque et m'y abandonna. Ironie du sort, j'étais exactement à la même marque lorsque je passais l'audition de ma vie un an plus tôt, et où je décrochais le rôle sans même de deuxième tour. A la fois le plus beau et le plus douloureux jour de ma vie ! Le bruit des applaudissements fit frissonner tout mon corps, et je sentis monter en moi un mélange d'excitation, de peur, de fierté, de larme et de reconnaissance. Aujourd'hui, je dansais pour moi, et c'était grâce à lui.

Le rideau se leva et un tonnerre d'applaudissement retentit de nouveau. La lumière se braqua sur le rôle principal, gracile, qui commençait à évoluer sur scène. Au rang 45 de la fosse, deux grands yeux s'écarquillèrent sur la jeune fille, tandis qu'un père, attendri, enroula son bras autour des épaules de sa fille qui était visiblement fascinée par la grâce de la ballerine. Abel sourit, et essuya timidement la petite larme qui s'était échappée de son œil. Il ne savait pas qui était cette « Ana » qui lui avait envoyé deux places pour cette première, mais pour rien au monde il n'aurait loupé Layla sur scène. Emballée de manière minutieuse, il serrait dans sa main droite la pointe Repetto de la jeune ballerine pour contenir ses émotions. Et dire qu'il y a à peine un an, il ramassait le chausson à même le sol de cet opéra après avoir dit adieu à la talentueuse soliste ? Le temps passe si vite, et nous joue tellement de tour... Son cœur se serra en pensant à ces adieux qu'ils s'étaient fait, puis fut rempli de fierté en voyant que son rêve était devenu réalité. Sa fille leva les yeux vers lui, rempli de joie et de tendresse.

-Podria ser bailerina ? (Je pourrais être danseuse plus tard ?)

-Todo lo que quieres cielo. (Tout ce que tu veux mon cœur).

C'est sur ce dernier échange que l'enfant de 11 ans se remit à fixer la danseuse. Abel était comblé, il n'aurait jamais pu demander plus pour son anniversaire que de voir la chair de sa chair se découvrir une passion pour un art si noble, et également revoir son amour de jeunesse. Ce soir, après le spectacle il repartirait à Cuba pour la première fois avec sa fille, Layla Maria, et y resterait définitivement. Il avait enfin trouvé la paix. 

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