CLEF DE SOL.

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Je sursautais et découvrais un homme métis, un béret perché sur la tête et un cigare à la bouche. Yuri, son meilleur ami contrebassiste. Il esquissa un sourire charmeur en recrachant des volutes de fumé parfaitement dessinés. Son regard sur moi ne me mit absolument pas mal à l'aise, je savais comment il était. Néanmoins, j'étais abasourdie de le voir.

-Ne nous serions-nous pas déjà fréquentés à la fin d'un concert toi et moi ?

Yuri avait une mère française et un père colombien, la première fois que je l'ai rencontré, c'était en même temps qu'Abel. Ses 2 frères venaient de mourir lors d'affrontements entre cartels à Bogota et sa sœur entamait une cure de désintoxication dans un hôpital au sud de Tijuana au Mexique. Si Abel était écorché vif à cette époque, lui était presque mort. La musique l'a sauvé d'un suicide certain. Mais malgré tout ça, ce dont je me souviens le plus, c'est sa tchatche légendaire.

-Yuri, ça fait longtemps !

Son regard passa de dragueur à stupéfait lorsqu'il finit par me reconnaître et il lâcha un juron local.

-Que padre mais tu serais pas la petite du château à Nice ?

Je voulais répondre mais il ne m'en laissa pas le temps en me serrant contre lui dans une accolade dont seuls les latinos avaient le secret. Son enthousiasme me surprit. Ainsi il ne m'avait pas oubliée ? Il avait l'air apaisé, légèrement sous l'emprise de drogue, mais vivant. Honnêtement, pouvait-on vraiment lui reprocher ce péché aux vues de tout ce qu'il avait vécu et abandonné ? Je ne suis ni flic ni prêtre, je ne le jugerai jamais. Subitement, mon cœur se mit à battre, il pouvait m'aider à approcher Abel, s'il se rappelait qui j'étais alors il pouvait être mon fil d'ariane jusqu'à lui.

-Je suis contente de te voir.

Il ajusta son béret, flatté. Il n'était pas du genre à refuser le compliment d'une femme, pas Yuri !

-Merci ma belle, moi aussi je suis content de te voir, ton père à fait beaucoup pour nous tu sais !

J'esquissais un sourire et baissai les yeux, gênée. Il n'insista pas à mon plus grand soulagement.

-Abel est là ?

-Je crois pas, il déserte vite après les concerts. Il sait que t'es là ?

Il paraissait serein et sincère, loin de s'imaginer la tempête qui ravageait mon être. Personne ne connaissait l'existence de mon amour passionnel pour lui, pour nos lettres, notre baiser... A part Ana maintenant. Il écrasa avec lassitude une cigarette qu'il venait de fumer à une vitesse stupéfiante, de quoi me donner le tournis, puis jeta un œil dans la salle par la fenêtre du bar.

-Vale, il a dû se rentrer, on a eu une semaine flinguante ! Mais reviens nous voir ! Attends je te donne mon numéro je te dirais quand on rejoue. T'es ici maintenant ?

Sans m'épancher, je me contentais de hocher la tête. Mon projet professionnel était quelque chose que j'aimais garder pour moi. Et puis il s'agissait de sujets que je voulais aborder avec Abel, rien qu'avec lui. Yuri me remit le précieux sésame qui me permettrait de recevoir les informations de leurs prochaines apparitions. Je le remerciais encore chaleureusement avant de le laisser retrouver ses « compagnes ». Les mains tremblantes, je lisais son numéro écrit sur un morceau de partition déchiré. Quand je le retournais, je redécouvrais l'écriture d'Abel. « Layla », Eric Clapton, Ré mineur

Pas de deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant