Chapitre 2

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Jenny posa un pied sur le palier et sentit une vibration dans sa poche. Elle sortit son téléphone et répondit à sa mère :
« Allô Maman.
-Allô Jen', ramène une baguette de pain avec toi, je te prie.
-D'accord, j'arrive », répondit-elle puis elle raccrocha.
Elle descendit les marches du perron et ne put s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil à la maison. Puis, elle se retourna vivement, apeurée, elle aurait juré avoir vu une paire de lunettes rondes la fixer. Elle traversa le passage piéton en vitesse et prit la direction de la boulangerie en essayant de ne pas penser au comportement préoccupant des enfants Jünger. Elle ne mit pas beaucoup de temps à apercevoir la pancarte rose excentrique de la boulangerie: "Magiciennes & Sucre Glace". Elle réprima un fou rire, elle ne s'y habituerait vraiment jamais. Elle s'engouffra tant bien que mal dans la boutique rose bonbon bondée. Comme d'habitude, une femme montée sur des escarpins hauts lui transperça le pied. Jenny retint un juron et serra fortement les dents, la femme aux escarpins marmonna une excuse hypocrite puis détourna les yeux. Si elle le pouvait, jamais Jenny ne rentrerait dans cette espace bondée de dames hypocrites grandes comme des perches sur leurs escarpins tapent à l'œil et vêtues de manteaux roses grisant. Elle frissonnait presque devant cette clientèle mais malheureusement sa mère ne supportait que les pâtisseries et le pain de ce faux pays des merveilles. Jenny inspira un bon coup et attendit son tour calmement. Trente-cinq minutes plus tard, son tour arriva. La boulangère leva ses yeux à peine visibles sur Jenny et dit de sa voix fluette:
« Bonjour, que puis-je pour vous?
-Une baguette de pain, s'il vous plaît, répondit la rousse d'une voix morne.
-Ce sera tout ?, demanda la boulangère visiblement outrée que Jenny ne vienne pas pour ses pâtisseries de renommée mais pour une simple baguette de pain.
-Oui, madame, dit Jenny, exaspérée.
La boulangère tendit une main peu enthousiaste vers l'étagère, attrapa une baguette et la tendit à Jenny.
-Voilà, quatre-vingt-dix-neuf centimes, s'il vous plaît, marmonna la boulangère.
Jenny lui tendit la monnaie et dit:
« Au revoir.
-Au revoir et à bientôt ! S'exclama la boulangère.
Jenny se décala du comptoir, se fraya un chemin au milieu de la foule et sortit de cet endroit étouffant selon elle. Une bourrasque de vent la frappa de plein fouet à peine sortie, ce qui lui permit pour son plus grand dégoût de sentir le parfum que dégageait le sachet en carton enveloppant la baguette. Elle fronça le nez et expira bruyamment. Elle décida de continuer sur le grand boulevard pour rentrer chez elle, mit ses mains dans ses poches et se mit à marcher sous le ciel gris de Tisarapaire. Après une demi-heure, elle se retrouva devant chez elle. Jenny chercha les clés dans sa poche, en vain. Quelle sotte !, songea-t-elle. Dans sa précipitation, elle avait oublié d'emporter ses clés. Sa mère allait sûrement lui passer un savon ! Elle inspira, leva sa main puis toqua trois fois. Elle baissa la main et attendit qu'on lui ouvre. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit à la volée sur son frère qui lui fit signe de se taire, ils montèrent en hâte à l'étage, pénétrèrent dans la chambre de Robin, fermèrent la porte et s'assirent sur le canapé.
« Qu'est-ce qu'il y a ?, demanda Jenny.
-Elle dort sur le canapé du salon », chuchota Robin.
Jenny hocha la tête puis poussa un long soupir.
-Qu’est-ce qu’il y a ?questionna son frère.
-Je dois redescendre pour poser la baguette dans la cuisine, répondit-elle en se levant.
-C'est vrai que si elle se réveille et qu'elle ne trouve pas sa chère baguette de pain de sa chère boulangerie, elle risque de tous nous passer au mixeur, fit Robin.
Jenny ouvrit donc la porte, descendit l'escalier sans encombre jusqu'à qu'une marche ne grince malheureusement, elle ferma les yeux et se mordit la lèvre en attendant que sa mère lui hurle dessus mais rien ne se produisit. Elle finit de descendre les dernières marches, s'engouffra par l'embrasure de la cuisine, posa la baguette de pain sur le plan de travail puis sortit en vitesse . Elle remonta et s'affala sur son lit.
   Pendant de longues minutes, elle demeura allongée en faisant le vide dans son esprit quand soudain la porte s'ouvrit sur son frère, la mine déconfite, armé d'un cahier . Jenny sursauta et se redressa brusquement .À la vue du cahier, elle fronça les sourcils.
« Robin, mais qu'est-ce que...
Il l'interrompit à l'aide d'un simple soupir.
Il s'assit à ses côtés puis poussa un second soupir. Jenny ne tint plus, elle avait contrôlé sa curiosité et impatience naturelle jusque-là, mais bon, elle était quand même fatiguée mentalement, sa patience avait été mise à rude épreuve ce dimanche.
-Mais qu'est-ce qu'il y a ?!
-Eh bien je n'arrive pas à faire ce devoir de maths, c'est la pire chose qui existe !, s'exclama-t-il en se passant nerveusement une main dans les cheveux.
Jenny faillit éclater dans un rire amer. Si ce n'est que ça, pensa-t-elle.
-Mais toi aussi, tu commences tes devoirs seulement maintenant ! Mais tu es complètement timbré ! Il est vingt-trois heures ! Tu sais que tu as un long devoir de maths et tu fais le monsieur en mode : « Ouais, tranquille, je gère, aucun soucis ! » Mais juste si tu es dans la galère maintenant, c'est pas ma faute alors débrouille toi, merci ! , cria-t-elle.
-Mais…c'est qu’en fait je les fais tout le temps tôt, tu le sais bien mais là..., commença-t-il en essayant de s'expliquer, une mine suppliante peinte sur son visage.
-Mais là, tu as jugé préférable de composer un morceau au piano que de faire tes devoirs. Tu as fait l'irresponsable ?  Assume. Point, le coupa-t-elle, énervée .
-Mais s’il te plait Jen'..., supplia-t-il.
-SORS, fit-elle sèchement, en montrant la porte du doigt.
-Jenny...
-DÉGAGE.
-Ma chère grande sœur ?
-DEGAGE, TU M'ENTENDS?!
Il se résigna et sortit.
Dès que la porte se referma, Jenny s'en voulu aussitôt d'avoir réagi aussi excessivement mais elle ne s'attarda pas sur le sujet, bien trop fatiguée pour commencer à culpabiliser et à philosopher sur son comportement. Elle se leva, se traina jusqu'à son armoire, dénicha un pyjama à l'aveuglette, s'habilla puis s'effondra sur son lit, elle s'était presque endormie quand soudain le parquet se mit à trembler dangereusement. Jenny se leva, marcha jusqu'à la chambre de son frère mais déjà le tremblement s'était arrêté. Elle  retourna dans sa chambre, plus pâle qu’à l’accoutumée, s'allongea et ferma les paupières, mais la dernière pensée qui lui traversa l'esprit avant de sombrer dans un sommeil sans rêve fut: "Soit je suis complètement malade, soit quelque chose de vraiment grave se trame ici."

Jenny BlackmoonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant