GARDE DE NUIT

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☆☆☆

La journée a été rude. Je la sens dans mes jambes.

Lourdes.

Une coupure de courant généralisée à tout le quartier nous a obligés à utiliser plus souvent les escaliers, les ascenseurs étant strictement réservés pour une utilisation menant aux blocs opératoires.

Camilla a d'ailleurs pris un malin plaisir à me faire courir plus souvent qu'à l'accoutumée entre les urgences et le labo, afin d'y récupérer les analyses de certains de ses patients. 

Je ne comprends pas et ne comprendrai jamais pourquoi elle me déteste autant. Voit-elle en moi une rivale potentielle ? Il faut dire qu'elle pavane bien devant Jarod... Mais ce n'est pas comme si j'étais la seule autre femme après elle dans l'hôpital. Les infirmières ne se comptent plus tellement elles sont nombreuses et je ne parle pas des médecins des autres services. 

De toute manière, Monsieur-Parfait l'est bien trop pour s'intéresser à une collègue autrement qu'avec un oeil professionnel. 

Inaccessible.

J'expire profondément, tandis que l'eau chaude de la douche des vestiaires du Blue Swan coule lentement sur mon corps endolori. Les courbatures me guettent. Un comble quand on sait que je vais pourtant trois fois par semaine au dojo où j'ai repris les cours de karaté et où je m'entraîne avec ferveur !

Je ferme les yeux et profite du bien-être que me procure cette douche amplement méritée. Pas de karaté ce soir pour moi, je passe mon tour. Mais je sais bien que je compenserai ce manquement à mon programme en y allant demain. Je ne botte jamais en touche sans raison valable.

Le jet d'eau se coupe et je sens le froid de l'air humide se déposer sur ma peau pour s'y condenser en petits frissons. Je me tourne vers le mur, appuie avec force sur le bouton-poussoir et offre mon visage aux gouttes d'eau tombant en pluie du pommeau. 

Puis je récupère la bouteille de shampooing que j'ai posée dans un coin et entame de me masser savamment le cuir chevelu. La manoeuvre a le don de me détendre un peu plus. Mes doigts y dénouent les noeuds, à l'instar de l'eau chacun de mes muscles. Toutes les tensions fondent comme neige au soleil, s'évaporent pour ne plus être qu'un mauvais souvenir. Mon corps me dit merci et je souris. 

J'ai désormais hâte de rentrer à la coloc' et de me plonger sous ma couette pour une bonne nuit de sommeil réparatrice. Sofia est de garde cette nuit, je serai donc seule, au calme et sans le moindre risque que mon amie ne débarque dans ma chambre au petit matin, pleine d'énergie et de bonne humeur. 

Parfois, j'aime bien aussi quand on me fiche un peu la paix : ça me permet de prolonger mon instant "marmotte au sortir d'un dodo tout chaud". Et avec Sofia dans les parages, c'est mission impossible.

Afin de pouvoir mieux rincer ma lourde chevelure brune, je me retourne et la présente en lieu et place de mon visage pleinement détendu.

Bien évidemment, c'est à cet instant précis — alors que je ressemble à un bonhomme de neige et que de la mousse de mon shampooing menace de rompre le barrage de mon sourcil droit pour venir se nicher, picotante, sur mon oeil — que le jet s'arrête une nouvelle fois. 

Putain de minuteur à la con ! Vous êtes d'accord avec moi, non ?

D'une main tâtonnante, je pars en quête du bouton. Vite ! C'est que je commence à cailler sévère. L'humidité retombe en effet un peu vite et j'en hurlerais presque de victoire quand j'enfonce avec violence ce satané interrupteur ! Puisse-t-il ne plus se couper tant que je reste la copie exacte du p'tit bonhomme de pain d'épices, version bulles de savon.

[OS] Tranches de vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant