DROGO

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Quelque part en Russie - 1868

— Drogo ! Lève-toi maintenant ! 

Une main, posée sur son épaule, le secouait comme un prunier et dans sa tête, le balai de la gueule de bois entamait son triple salto arrière carpé. Il porta son poing à son front, s'assommant au passage à l'aide de la bouteille de Vodka qu'il tenait toujours par le goulot et qu'il n'avait pas lâchée depuis... depuis quand et depuis quoi déjà ?

Il ouvrit péniblement un oeil et le referma aussi vite : la lumière qui avait envahi la petite chambre de Svetlana lui vrillait le nerf optique à la manière d'un ciseau à bois cherchant à l'énucléer.

Il interrogea son hôtesse nocturne de ce qui ressemblait plus à un grognement qu'autre chose :

— Putain, il est quelle heure ?

— Trop tôt pour toi, lui rétorqua-t-elle avec ironie avant de continuer : faut que tu dégages vite fait, Drogo.

— Donne-moi encore une petite heure...

— Je peux pas ! s'exclama la catin que le jeune homme venait régulièrement honorer de sa présence. Mon premier client va pas tarder et tu connais Vladimir, si je fais pas mon job, il va me cogner.

Drogo se redressa sur un coude, en regardant la prostituée, une lueur taquine et coquine dansant dans ses prunelles ambrées. D'une main, il lui saisit un poignet avant de l'attirer à lui. Elle tomba entre ses bras, son peignoir à fleurs dénudant l'une de ses délicates épaules.

— On n'a qu'à dire que j'suis ton client pour la journée, lui murmura-t-il, en humant son odeur sucrée.

Elle devait être debout depuis un petit moment déjà, car elle était douchée, parfumée, maquillée et quasiment nue sous sa sortie de bain. Il passa une main sur sa cuisse et put sentir sous le tissu du négligé le relief d'un porte-jarretelle. Il ne lui en fallut pas plus pour se sentir émoustillé. 

Toutefois, la jeune femme ne ressentait visiblement pas la même chose que lui en cet instant. Elle jetait des regards anxieux vers la porte de la chambre qu'elle occupait à l'année dans le bordel tenu par Vladimir, son maquereau. 

D'une minute à l'autre, on allait toquer à la porte, elle le savait et si son patron la surprenait à distribuer ses charmes sans contrepartie pécuniaire d'aucune sorte, elle allait morfler. Elle repoussa donc à contrecoeur son amant, celui pour qui elle éprouvait plus que de l'attirance physique, et le morigéna :

— Tu me paieras avec quoi, Drogo ? T'as jamais un rond, même ton alcool, c'est moi qui te le fournis, la plupart du temps.

Le visage du jeune homme s'assombrit face à cette remarque acerbe. Il se leva au moment même où trois petits coups étaient donnés contre la porte.

Svetlana se retourna vivement, ramassa les vêtements du jeune homme encore épars sur le sol et les lui fourra dans les bras en les lui plaquant contre le torse. Tout en l'enjoignant à vider les lieux rapidement, elle le poussa vers la fenêtre de la chambre, qui donnait sur l'escalier de secours. 

Dans la minute qui suivit, le battant de la fenêtre se referma sur lui et il put voir son amante tirer les rideaux pour le soustraire à la vue de son premier client de la journée.

Il serra le poing, avec l'envie d'aller casser quelques dents à cet homme, venu chercher le plaisir dans une étreinte sexuelle uniquement consentie contre monnaie sonnante et trébuchante. Lui, il n'avait pas besoin de ça, pour qu'elle se donnât à lui. Elle l'aimait, il le savait et un jour, il espérait bien avoir la possibilité de la sortir de ce destin, de ce job de putain.

[OS] Tranches de vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant