Un garçon qui voulait être normal

Chapitre 5: Bénie soit l'amitié

Arrive enfin l'heure de quitter le lycée après une journée interminable. J'ai envie de tout arrêter, je ne supporte plus personne. Le seul qui arrive encore et toujours à me faire rire c'est Rayan. On se connait depuis toujours avec Rayan, on a grandit dans le même quartier. Aussi loin que je m'en souvienne, on a toujours trainé ensemble. Pourtant on est complètement différent, mais entre nous y'a quelque chose qui fait que l'on se ressemble. C'est difficile à expliquer, mais j'ai toujours eu une forme d'admiration pour lui. Il est le genre de garçon qu'on remarque, il fait rire tout le monde tout le temps, il adore qu'on le voit. Moi je suis toujours un peu dans son ombre, mais il n'essaye jamais de m'écraser. Au contraire, quand je suis avec lui je me sens libre de pouvoir prendre de la place, m'exprimer librement, être plus exubérant, être plus drôle surtout. Il réveil un coté intéressant chez moi, c'est pour ça que je l'aime autant, il arrive à faire sortir le meilleur de moi.

La sonnerie de l'école retentit, le calvaire est définitivement terminé. Je me lève pour sortir mais Rayan ne semble par décidé à vouloir lâcher l'affaire avec la prof de Français.

Depuis quelques temps Rayan a pris la fâcheuse manie de se rebeller pour tout et n'importe quoi, contestant en permanence l'autorité des profs. Cette fois ci, il conteste une fois de plus la décision de la prof, qui lui a mis une heure de colle à cause de son comportement en cours. Elle tente de lui faire comprendre que son comportement doit changer impérativement, dans le cas contraire, elle ne l'acceptera plus en cours. Même si je l'adore, le comportement de Rayan a changé ces derniers temps. Il a toujours était l'élément perturbateur de la classe, mais il était toujours drôle et jamais mauvais gratuitement. Ces temps-ci il se renferme de plus en plus, devient de plus en plus agressive et il lui arrive même d'être méchant. C'est plus le même garçon que j'ai connu et j'ai peur qu'un jour on ait plus rien à se dire. J'ai l'impression qu'on s'éloigne de plus en plus, on a de moins en moins de choses à se dire.

La prof lui demande si il trouve son comportement normal, ce à quoi il réplique du tac au tac:

« Et vous, vous trouvez ça normal de venir en jupe au lycée? »

La prof reste bouche baie, elle ne s'attendait pas à sa venant de sa part. Sans lui laisser le temps de répondre, il quitte la salle brusquement, je le suis au pas. Il a l'air vraiment énervé, il part en trombe sans faire attention à moi, je préfère ne pas insister, on verra ce qu'il en est demain.

*

Allongé dans mon lit je n'arrive pas à trouver le sommeil, je repense à ce qu'il s'est passé entre la prof et Rayan. Je ressasse les mots qu'il a prononcé, sans comprendre où il voulait en venir.

J'ai l'impression d'avoir manqué quelque chose, je me sens à coté de la plaque.

A force de ressasser tout ça dans ma tête je finis, je crois comprendre le fond de sa pensée.

Pour lui, le métier de professeur implique certaines règles de décence. Dans sa perception des choses, le fait de se présenter devant des élèves implique d'avoir une tenue appropriée. Or, le fait pour une femme de porter une jupe est pour lui un comportement inapproprié. S'afficher de la sorte est vulgaire et irrespectueux.

En prenant conscience de sa façon de résonner, je comprends que quelque chose chez lui a changé. Le Rayan que je connais n'aurait jamais fait ce genre de réflexions.

Le nouveau Rayan qui se dessine sous mes yeux a quelque chose de malsain, je me sens en total décalage avec lui. Je réalise à quel point nos préoccupations et perceptions de ce qui nous entoure sont différentes maintenant. Nous qui avons vécu au même endroit toute notre vie, qui avons fréquenté les mêmes écoles, les mêmes personnes. Combien de fois on a parlé des filles, de leurs seins, de leurs fesses. Pourtant aujourd'hui notre regard sur les femmes a complètement changé. Et à travers ça, c'est notre vision de la vie qui n'a plus rien à voir.