Aneki

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Aneki
Aneki... Aneki... je frissonne toujours en pensant à elle. Cinquante ans, c'était il y a cinquante ans et c'est comme si c'était hier. Mais comment aurais-je pu oublier les évènements les plus traumatisants de ma vie ?

Madame Garreau, notre maîtresse, nous l'a présenté par un froid matin d'hiver. C'était juste avant le début d'un cours de mathématiques, en CM2. Elle arrivait d'Osaka au Japon et venait d'emménager dans notre village. Longs cheveux noirs, visage pâle, cernes sous les yeux et joues creuses, Aneki n'était pas très jolie. Je dirais même qu'elle était inquiétante avec son pantalon serré qui soulignait la maigreur de ses jambes et son ample chemise dont le bras droit était replié dessous, en écharpe. Même si la maîtresse nous avait demandé d'être sympas avec elle, les petits rires méchants fusaient déjà dans la classe. Moi je ne riais pas, je ne me suis jamais moqué de personne et c'est peut-être pour ça que la maîtresse l'a assisse à côté de moi. Il est inutile de vous expliquer que j'étais plutôt mal à l'aise. Absorbé par son visage, je ne m'étais pas rendu compte combien elle était grande. Le sommet de mon crâne lui arrivait à peine à l'épaule ! De son seul bras valide, elle a déballé ses affaires en silence et puis j'ai entendu quelque chose de très étrange : les gargouillements de son ventre...

Aneki était toujours la première arrivée en classe et la dernière à en sortir. Son matériel scolaire était toujours impeccablement disposé sur la table quand j'arrivais le matin (souvent le dernier, je l'assume) et en fin d'après-midi elle attendait que tout le monde soit sorti pour les ranger.

Aneki ne parlait à personne et personne ne lui parlait. Tout le monde s'en fichait d'Aneki, personne ne cherchait à être ami avec elle et Aneki ne cherchait à être amie avec personne. Peut-être que son silence, son attitude figée au milieu de la cour de récréation, ses grands yeux sombres posés sans interruption sur quelqu'un décourageaient les filles de l'approcher. Les garçons s'en moquaient, mais de loin, ils avaient bien trop peur que la grande Aneki les suive jusqu'à chez eux et s'introduise en pleine nuit dans leur chambre pour leur faire Dieu sait quoi !

Aneki rentrait déjeuner chez elle, mais bizarrement, l'après-midi, j'entendais toujours les gargouillis de son ventre, comme si elle n'avait rien mangé. Une, peut-être deux semaines après son arrivée, un peu avant midi, j'ai pour la première fois entendu le son de sa voix. Brrr, j'en frisonne encore. Sa voix était faible, presque agonisante. Inutile de vous dire que j'ai poliment refusé son invitation à déjeuner, prétextant que ma mère m'attendait tous les midis, et ce, jusqu'à la fin de l'année scolaire ! Elle m'a répondu un long « dommageeeee » puis ne m'a plus jamais posé cette question. D'ailleurs, elle ne m'en a plus jamais posé du tout, et c'était très bien comme ça, car je peux vous l'avouer sans honte, elle me fichait une chiasse du diable cette Aneki !

La première disparition d'un enfant de l'école a eu lieu début mars, soit trois semaines après son arrivée. Le village était sens dessus dessous. La jeune victime était au CP, une jolie petite blonde rondouillarde, la meilleure copine de ma jeune sœur, Noémie.  On a retrouvé son corps quelques jours plus tard, dans le bois proche du village. Enfin, on a juste retrouvé des os cassés, mordillés ou sucés. Une sorte de couvre-feu a été déclarée pour les enfants avec ordre de ne plus sortir de chez eux après l'école.

Les jours qui ont suivi l'enlèvement de la petite fille ont vraiment été pesants. Tous les rires des enfants semblaient avoir quitté l'école et les parents avaient le visage fermé. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me douter de quelque chose quand j'ai aperçu le petit sourire en coin d'Aneki. Elle qui n'avait jamais souri avant la disparition de la fillette semblait plus heureuse. En plus, je faisais une fixation sur son bras sous sa chemise. Dès que je pouvais, je regardais à cet endroit. Parfois, j'apercevais un bref mouvement et j'avais l'impression que de petits doigts ou de petites griffes glissaient sous sa chemise. Parfois, elle sentait que je l'observais et tournait brusquement la tête. Ses yeux sombres étaient effrayants, mais je lui faisais toujours un petit sourire pour la rassurer. En tout cas, je ne voulais plus rester à côté d'elle, car je commençais réellement à faire de grosses crises d'angoisse. De plus, je trouvais que ses vêtements dégageaient une odeur de terre mouillée. J'ai alors pensé qu'elle dormait dehors ou qu'elle couchait dans une maison humide. Mais peut-être que je me faisais des idées, peut-être que mon cerveau gambergeait trop depuis la disparition de la petite ?

Recueil de Creepypasta Où les histoires vivent. Découvrez maintenant