Monstre ou humain.

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Mes yeux s'ouvrent lentement, laissant la nuit m'accueillir de ses bras chauds et réconfortants. J'ai la sensation que mon corps est léger, comme si un poids énorme m'avait été enlevé, que mes épaules étaient enfin libres et soulagées. Je me redresse pour m'asseoir sur le lit, et observe les alentours. Inutile de me demander où je suis, je me souviens parfaitement de ce qu'il s'est passé. Paradoxalement, je n'ai aucun souvenir de comment je me suis endormi et à quel moment.

J'abandonne ces questions, et enfile mon pantalon avant de sortir de la pièce, avec la ferme intention de rejoindre Shoto. Mes pas se font silencieux, et ordonnés, je sais où je vais et ce dont j'ai envie, mais ma main reste un moment sur la poignée de sa chambre, sans pouvoir esquisser un seul mouvement.

Ai-je le droit de le voir ?
Ai-je seulement le droit d'être là, à ses côtés ?

Une tristesse pesante vient de nouveau alourdir tout mon corps, et mon cœur se serre avec force. Ma lèvre inférieure se coince entre mes dents, et je recule de quelques pas, les yeux rivés sur le sol. Ma place n'est pas ici, je ne peux lui faire face dans cette situation, pas après mon erreur. En moins de temps qu'il faut pour le dire, je sors du chalet.

Mes émotions me submergent ; colère, peine, confusion, douleur. Mon sang bouillonne, mais j'essaie de contenir le loup qui tente vicieusement de prendre le dessus. Je cours sans doute depuis plusieurs minutes maintenant, je ne sais pas jusqu'où je vais, à quelle allure je m'enfonce dans cette densité d'ombres nocturnes, mais je ne veux pas y penser. Je dois me concentrer sur l'humain et non me laisser aller. Je ne sais pas ce qu'il pourrait se passer si je me laissais avaler par l'animal. Je le sens, il me nargue, il est là, à la porte de ma volonté qui se fissure de plus en plus. Je tente de ne rien abandonner, mais les images du visage de Shoto me reviennent comme un électrochoc et ma course s'arrête net, soulevant la terre dans un nuage de poussière.

Mes genoux tombent au sol, un cri déchire le silence de la nuit. Mes yeux oranges fixent quelques instants la lune, qui atteindra sa forme pleine d'ici moins de deux tours du cadran. J'abandonne. Shoto ne mérite pas ce sort, il ne doit pas avoir ce genre de vie. Je pensais lui donner l'exclusivité d'être le seul humain à connaître notre existence, mon véritable moi, mais rien ne s'est déroulé comme je l'avais si bien imaginé. Je dois être la créature surnaturelle la plus idiote de la Terre.

Mon cœur s'accélère davantage, des craquements atroces se font entendre partout dans mon corps. Malgré moi, je tente de m'accrocher au peu d'espoir qu'il me reste de voir Shoto se réveiller, et sourire comme à son habitude, mais le processus est déjà trop avancé pour que je ne puisse résister plus longtemps. Mes dents qui s'allongent ne manquent pas de m'écorcher les lèvres avant que celles-ci ne soient remplacées par un long museau noir. Des grognements résonnent dans ma gorge, alors que mes griffes tracent des sillons sur le sol ; ma colonne vertébrale poursuit sa croissance pour former une longue queue poilue.

Ma position facilite l'ascension de la transformation ; la douleur a raison de moi, et je me sens bien trop faible pour lutter encore contre quoi que ce soit. Ma gueule se relève vers le ciel, et un puissant hurlement fend l'air. Mes poils se hérissent, comme si des millions de frissons me parcouraient, au son de ma propre voix qui se perd dans l'immensité du lieu, je suis touché par ma propre peine.

Mes pattes foulent la terre humide de la forêt, à la recherche d'un minimum de délivrance. J'ai besoin de m'épuiser, de m'effondrer, de tomber et de ne plus pouvoir me relever. Je veux me sentir faible, comme un humain, comme un mortel, prendre la place de l'être aimé afin qu'il puisse vivre et retrouver les couleurs innocentes sur ses joues.

Un immense lac se présente à moi, et, contraint de stopper mon élan de folie, je m'avance doucement sur le petit ponton de bois. Je fixe pendant un instant mon reflet dans l'eau avant de me laisser tomber, comme la proie morte d'un chasseur. Une de mes pattes avant pendant vers l'eau, la touchant de quelques millimètre, me permettant ainsi de ne plus voir le monstre que je suis.

Wolf growls. Human sings. (BakuTodo)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant