Chapitre 1 {II}

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 Olympe avait particulièrement mal dormi. Aussi, au lieu de se rendre au club d'athlétisme dans la matinée comme elle le faisait habituellement, s'y était-elle rendu en début d'après-midi. Même si la pré-rentrée avait déjà eu lieu, il restait encore une semaine avant le début des cours. Avec les beaux jours qui se poursuivaient en cette fin d’été, c'était l'occasion idéale pour s'investir dans l'entraînement et de penser à autre chose. Devoir résider sur le campus en craignant de croiser d'anciennes connaissances et s'imposer des retrouvailles malaisantes était déjà difficile, alors devoir aller en cours tous les jours ne l'enchantait pas plus que ça pour le moment. Aller au terrain d'athlétisme était son moment de liberté, loin de ses idées noires et de ses souvenirs accablants.
 Encore une fois ce jour-là, elle enfila sa tenue de sport, enfouit son uniforme de travail dans son sac avec une serviette et une bouteille d'eau et prit le bus jusqu'au club. Une fois arrivée, elle salua Paul, l'homme d'accueil, et alla sur le terrain sans prendre la peine de passer par le vestiaire.

 — Bonjour.

 Olympe, occupée à poser ses affaires au bord du terrain, se retourna vers la voix qui l'avait interpellée. Son souffle se coupa en reconnaissant les deux magnifiques yeux verts qui se posaient sur elle.

 — B-Bonjour. Rayan, c'est ça ?
 — Oui c'est ça, acquiesça l'homme en souriant. On m'a dit qu'il fallait saluer tous les membres du club lorsque je les croisais alors... me voilà. Je viens de vous voir arriver.

 La jeune femme ne sut pas quoi répondre, embarrassée. Il est trop beau, pensa-t-elle, comme une adolescente face à une rock star.

 — Il n'y a personne d'autre ? questionna-t-elle.
 — Et bien... non.
 — Ah oui ? Quand je viens le matin c'est plutôt noir de monde.
 — Les gens viennent sûrement s'entraîner avant d'aller au travail.
 — Et vous, vous ne travaillez pas ?

 Rayan eut un rire cristallin. Il semblait de bonne humeur.

 — J'ai des horaires très variables. Et vous ?
 — Je travaille surtout le soir, expliqua-t-elle.

 Un silence gêné s'installa entre eux. Olympe, qui n’était pas d’ordinaire la plus timide, se retrouva soudainement à court de sujets de conversation. Il ne lui venait à l'esprit que des questions banales et des réflexions concernant la météo clémente. À ce compte-là, autant ne rien dire.
 Pourtant, elle n'avait pas spécialement envie qu'il s'en aille, ni même d'arrêter de discuter avec lui. Ses yeux étaient si envoûtants qu'elle ne parvenait pas à soutenir son regard plus de quelques secondes.

 — Vous voulez qu'on s'entraîne ensemble ? proposa-t-il.

 Olympe sentit le rouge lui monter aux joues et accepta en bafouillant, ne comprenant même pas ses propres paroles. Perdre ses moyens juste à cause d'yeux verts et de beaux abdos... elle se sentait ridicule. Tu es vraiment pathétique, pensa-t-elle, sentant son enthousiasme et sa confiance en elle redescendre. Toi et tes jambes si maigres.

 — Comment vous vous appelez ?
 — O-Olympe.
 — Oh… j’aurais dû m’en douter. Vous êtes rousse, comme dans le tableau.

 Il lui fallut une petite seconde pour comprendre la référence au tableau de Manet qui portait son nom.

 — Ça vous va très bien, s’empressa-t-il d’ajouter.
 — Merci beaucoup.

 Il était beau, sportif et cultivé… à se demander si elle n’était pas totalement en train de l’imaginer.

 — Tenez, dit-il en lui passant son chronomètre personnel. Je vous le prêtre, j'en ai deux. Une fois que vous aurez fini de vous échauffer, vous me faites signe et on se chronomètre ?

 Olympe hésita, juste une seconde. Voilà des années qu'elle n'avait pas eu une discussion plaisante avec un bel homme, sans qu'on se penche sur son fauteuil ou ses béquilles avec pitié. Des jours qu’elle devait perpétuellement justifier son silence de quatre ans.
 Une simple discussion, sans avoir besoin d’expliquer ce qu’il lui était arrivé était si agréable. Dans les yeux de cet homme, elle se sentait normale. Il ne connaissait rien de son passé, il ne voyait que son présent.

 — Si vous préférez vous entraîner seule, il n'y a pas de problème.
 — Non ! Au contraire, ça me ferait plaisir qu'on s'entraîne ensemble.

 Rayan sourit. Il semblait hésiter à dire quelque chose. Passé un instant à observer son propre chronomètre, il ajouta :

 — Ce qu'il y a, c'est que vous êtes la première personne d'à peu près mon âge que je croise ici. J'ai l'impression que tous les autres membres sont soit encore au collège, soit déjà retraités, plaisanta-t-il. Je me sens un peu seul parfois.
 — Oui je comprends, rit Olympe. C'est d'accord, je m'échauffe et je vous rejoins.

 Rayan sourit et fit demi-tour.

 — Et on pourrait se tutoyer, osa Olympe, le rouge aux joues. Puisqu'à partir de maintenant on est copains d'athlétisme.
 — Oui bien sûr, ça me va. À tout de suite.

 La jeune femme l'observa s'en aller, sentant son cœur battre dans sa poitrine. Elle se frappa le front. Je suis vraiment grave, c'est n'importe quoi, pensa-t-elle, dépitée. Se jurant de se concentrer sur son entraînement, elle commença à s'étirer.
 Après plusieurs minutes, Olympe rejoignit Rayan, trépignante d’excitation. Il était difficile de le nier : elle le trouvait très attirant et, même si cela lui était déjà arrivé après sa rupture, cette fois-ci était différente. C'était la première fois depuis qu'elle remarchait sans béquilles qu’elle rencontrait un homme qui lui plaisait à ce point. Homme qui, en plus, semblait rechercher sa compagnie.
 Toutes ces années, elle avait étouffé ses émotions pour ne pas voir que de belles histoires auraient pu naître. Qui aurait pu l'aimer alors qu'elle était handicapée ? Personne. Sa propre famille ne lui témoignait plus qu’une affligeante pitié et ne l’avait reconnue que lorsque ses jambes avaient recommencé à se mouvoir. Olympe s'était persuadée qu’il en allait de même pour tout le monde, tournant le dos à toutes les démonstrations d'affection et les déclarations, même de la part de garçons qui auraient pu faire battre son cœur comme Rayan, en ce moment.
 Ils me quitteraient.
 Elle le pensait, à l'époque. Être heureuse, dans son ancien corps, n'avait jamais fait partie de ses plans.
 Ils me quitteraient comme Nathaniel m'aurait quitté, s'il avait su.
 Olympe se berçait de chimères pour ne pas voir qu'elle était certainement passée à côté de sa vie pendant quatre ans. Aujourd'hui, de nouveau capable de marcher et de courir, elle se sentait renaître de ses cendres ; et ça, alors qu'elle n'était jamais morte. Rayan n'avait jamais vu son corps coincé dans un fauteuil et, d'ailleurs, il n'aurait jamais besoin de savoir. Elle ferait tout pour le lui cacher, à lui et à tous les autres.

 — Alors, qu'est-ce que vous voulez faire ? demanda Rayan.
 — Hum... hésita-t-elle. Je devrais améliorer mon temps au sprint. Je peux courir assez longtemps mais je cours vraiment très lentement.

 Recouvrir ses capacités, après des années d'immobilité, ce n'était pas évident. Son temps était même ridiculement bas pour quelqu'un qui venait s'entraîner plus d'un jour sur deux. Soudainement, l'idée de s'entraîner avec lui l’embarrassa.

 — Tu fais combien de secondes en général aux cent mètres ?
 — Euh... seize secondes... quand je suis en forme.

 Olympe se sentit rougir de honte, sachant que son temps était généralement bien supérieur à ça, mais Rayan sourit, comme pour la rassurer.

 — On va partir sur vingt secondes déjà, ça te va ? Je chronomètre.

 Olympe accepta et se mit sur la piste de départ. Elle se sentit soudainement stressée mais cela n'avait rien à voir avec son temps au sprint.
 Ready, steady, go !

 — Dix-huit secondes, annonça Rayan en allant vers elle. C’est bien. Pas trop fatiguée, prête à recommencer ?

 Comme un air de défi lui passa sur le visage. Olympe y répondit avec un sourire en coin.

 — Aucun problème.

 Olympe s'entraîna jusqu'à descendre à presque seize secondes puis, lorsque son temps recommença à augmenter, proposa à Rayan de le chronométrer à son tour. Entre deux courses, Rayan expliqua qu'à l'inverse de la jeune femme, il courait plutôt rapidement mais tenait difficile la distance. Sa spécialité était le quatre-cent mètres mais, au delà, il peinait à en venir à bout.
 Olympe appréciait de parler de sa passion pour l'athlétisme avec lui. Elle finit par comprendre qu'il exerçait un métier plutôt intellectuel, sans en dire plus, et que ce temps de course lui permettait de ne pas penser. Trop penser, avoir l'esprit qui tourne en boucle, être incapable de faire le vide, d'abandonner ses idées noires... Olympe connaissait ce problème trop bien.
 Au bout de deux heures, l'entraînement se termina. Plus le temps avançait et plus la jeune femme se sentait à l'aise en la présence de Rayan. Elle aurait aimé que leur séance continue plus longtemps pour en apprendre plus sur lui.

 — Tu reviens demain ? demanda-t-elle.
 — Oh, non, je m'entraîne trois fois par semaine seulement. Je reviendrai sûrement jeudi dans la soirée.
 — Ah... je travaille jeudi soir, donc on ne pourra pas se croiser.

 Olympe n'avait pu s'empêcher de laisser échapper sa déception. Elle se mordit la lèvre d'avoir témoigné de son envie de le revoir aussi facilement.

 — C'est dommage, répondit-il simplement.
 — Oui...

 Un silence gêné s'installa.

 — Je vais aller dans les vestiaires, dit-elle. Alors... à la prochaine ?
 — Oui, à la prochaine.

 Tandis qu'Olympe se dirigeait vers le bâtiment pour prendre sa douche, ses affaires sous le bras, Rayan l'interpella.

 — Attends.

 Son visage avait quelque chose de différent, de moins assuré que ce qu'il avait montré jusqu'à présent. Ses joues rougissaient sous les gouttes de sueur, trace de leur entraînement. Il hésita et, après quelques secondes, lui demanda.

 — Tu voudrais bien prendre un verre avec moi ?

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant