Chapitre 7 {III}

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 — Comment ça, tu dois travailler ce soir ?

 Olympe n'avait pas vu ça venir. Clémence venait enfin de quitter le café, arrêtant d'un même temps sa tendance insupportable à surveiller et critiquer absolument tout ce que faisait la jeune femme. Dans ces conditions, même envoyer un SMS ou passer un peu trop de temps aux toilettes pour le faire était inenvisageable.

 — Bah... c'est comme ça... enfin c'était pas prévue, je suis désolée, répondit-elle, sans vraiment comprendre pourquoi Rosalya était si en colère.

 Ne s'était-elle pas assez plainte de sa saleté de boss pour que son amie comprenne que ce genre de choses arrivaient tout le temps ? Rester coincée au travail un vendredi soir n'avait jamais fait parti de ses plans. Se faire culpabiliser pour ça non plus.
 Rosalya continua à s'énerver au bout du fil, rappelant – comme Olympe aurait dû s'y attendre – son annulation de la semaine précédente. Du coin de l'œil, elle vit Hyun faire des cafés juste à côté, l'empêchant de prétendre qu'il ne se rendait pas compte de la situation. Leur regard se croisèrent, et le jeune homme luit offrit un air désolé. Était-elle vraiment en train de s'engueuler devant tout le monde ?
 Roulant des yeux, Olympe s'isola dans les cuisines pour poursuivre sa conversation. Rosalya était désormais encore plus irritée à cause de l'invitation donnée à Mélody, comme elle s'y attendait. Il fallait reconnaître qu'elle aurait pu l'en avertir bien plus tôt.

 — Bien sûr, tu n'y a pas pensé, cracha son « amie » au bout du fil.

 C'était la goutte de trop.

 — Tu sais quoi Rosalya ? Toi aussi, laisse tomber, lâcha Olympe avant de lui raccrocher au nez.

 Sans avoir le temps de digérer ce qu'il venait de se passer, la porte s'ouvrit sur Hyun, le corps encore à moitié à l'extérieur.

 — Tout va bien ? demanda-t-il poliment, visiblement inquiet.
 — Oui, oui, répondit-elle dans un sourire forcé. J'arrive tout de suite.

 Le jeune homme, même sans paraître convaincu, ferma la porte de nouveau. Il avait ce respect de toujours lui accorder le temps qu'elle voulait pour se confier. C'était une qualité que Olympe appréciait énormément chez lui.
 L'étudiante décida de se charger de la vaisselle pour s'occuper les mains et l'esprit sans avoir à devoir sourire à de stupides clients. Ces derniers n'étaient pas si méchants, mais la pression que lui mettait Clémence était telle qu'il en devenait difficile de feindre la moindre bonne humeur fasse à eux et ils n'oubliaient jamais de s'en plaindre après coup.
 Hyun se chargea des clients pendant les deux heures qui suivirent et Olympe ne quitta presque pas la cuisine, la nettoyant du sol au plafond, même les endroits qu'ils ne prenaient pas la peine de laver d'ordinaire. Clémence remercierait certainement Hyun pour ce travail, ou critiquerait Olympe pour avoir privilégié du ménage au détriment des clients. Ça n'avait pas d'importance. Au moins elle pouvait penser à autre chose et oublier, aussi bien sa dispute invraisemblable avec Rosalya, que sa soirée avec Rayan.
 Rayan.

 — Le dernier client est parti, annonça Hyun dans un soupir soulagé en pénétrant dans la cuisine. Les deux derniers voulaient pas décamper.

 Olympe se pencha pour nettoyer l'arrière du lavabo, espérant par la même cacher son visage devenu rouge. Même s'il ne s'était rien passé lors de son dîner avec Rayan, y repenser faisait tambouriner son cœur comme une adolescente face à son idole.

 — Merci d'avoir nettoyé la cuisine, c'est super ! La salle fait vraiment... bah... sale maintenant, en comparaison, rit-il.
 — Mais non ! répondit-elle, la tête toujours dirigée vers le sol. Puis dis pas ça maintenant alors qu'il faut qu'on aille s'en char-aïe !

 Olympe s'était cognée l'arrière du crâne en voulant se relever, sa casquette tombant au sol. La douleur vibra jusqu'à son front tandis que ses genoux heurtaient le sol, l'impulsion pour se lever l'ayant quittée. Elle posa rapidement ses mains sur la tête. Bientôt, d'autres doigts que les siens glissèrent dans ses cheveux.

 — Ça va ? s'inquiéta Hyun. Tu ne saignes pas ?

 Sans même s'en rendre compte, elle le laissa masser l'endroit qui la faisait souffrir à sa place. De longues minutes passèrent sans qu'ils n'eurent à discuter, tous les deux assis à même le sol de la cuisine. Les yeux fermées, elle se concentra sur ces caresses subtiles sur ses cheveux. Elles étaient douces et apaisaient la douleur. C'était agréable. Olympe se souvient alors de cette soirée au club, lorsqu'il s'était occupé de ses pieds meurtris avec cette même douceur.
 Lorsque Hyun s'arrêta, Olympe en fut presque déçue. Le jeune homme se redressa et l'invita à faire de même.

 — Allez, plus vite on aura terminé et plus vite on sera tranquille !
 — Tu as raison, sourit-elle.

 Ils passèrent l'heure qui suivirent à faire le rangement et le nettoyage de la salle, dans une ambiance plutôt détendue. Hyun avait vraiment ce pouvoir sur elle – de la calmer, presque sans effort, et même si elle n'en comprenait pas la raison, ça rendait les journées de travail bien moins difficiles. Surtout une comme celle-là.

 — Tu étais censée te rendre quelque part, ce soir ? finit par demander son collègue, embarrassé mais visiblement curieux d'en apprendre plus.
 — Ah... oui... c'était Rosalya, si tu te souviens d'elle ? Mon amie de lycée qui a les cheveux courts et décolorés en blanc. Elle m'avait invitée à une soirée... révision... un truc du genre... Je sais pas pourquoi elle s'est énervée comme ça ? se questionna Olympe à voix haute, encore occupée à passer la serpillière. Elle est tout le temps en colère contre moi, quoi que je fasse, quoi que je dise, elle a constamment quelque chose à me reprocher. Je ne fais pas exprès de travailler un vendredi soir !

 L'étudiante avait presque crié, sentant la rage envahir sa cage thoracique. Elle prit une seconde pour souffler. Ce n'était pas le moment pour s'énerver.

 — Ta relation avec elle a l'air un peu toxique.
 — J'en sais rien... enfin bon... j'aurais bien aimé aussi sortir au lieu d'être coincée ici.

 Hyun se stoppa dans son nettoyage et se redressa soudainement vers elle. L'espace d'un instant, elle paniqua, croyant l'avoir vexé. Pourtant, à sa grande surprise, il jeta son éponge dans le seau près d'eux et prit le balais des mains d'Olympe.

 — Tu sais quoi ? Moi aussi.

 Un sourire en coin, il posa les ustensiles sur le côté et passa derrière le bar.

 — On a travaillé toute la journée, on mérite notre soirée. C'est déjà propre de toute façon, conclut-il en se servant dans les boissons fraîches. J'espère que ça ne te dérange pas de la passer avec moi ?
 — Bien sûr que non, répondit-elle en passant à son tour derrière le bar. Tu comptes payer ça ? Attends... qu'est-ce que c'est ?

 Hyun tenait dans la main une bouteille verte pomme qu'elle n'avait jamais remarquée.

 — C'est moi qui l'ai acheté. C'est du mojito sans alcool. Je l'ai mis au fond du frigo pour que Clémence ne remarque rien.
 — Pourquoi tu l'as mis là ?
 — Pour être honnête, répondit-il en servant la boisson dans deux verres, j'espérais passer une soirée avec toi depuis longtemps. On est toujours là à travailler sans prendre la peine de se poser, alors je pensais que ce serait une bonne idée.

 Il avait acheté une boisson sans alcool exprès pour elle. L'intention la toucha.

 — Tu as raison. On est trop sérieux, si tu veux mon avis ! déclara Olympe en bombant le torse. Clémence devrait même nous augmenter.

 Hyun lui tendit son verre et ils trinquèrent en se regardant dans les yeux.

 — Tu as bien raison !
 — Enfin la fois où t'es soûlé à la bière n'était pas terrible.

 Le concerné tenta de cacher ses joues instantanément devenues rouges en tournant la tête, profitant d'avaler une gorgée pour ne pas répondre tout de suite.

 — Ah... ne parlons juste pas de ça.

 Olympe n'insista pas et s'assit sur le bar. Pas très hygiénique mais elle y passerait de la javel ensuite, se promit-elle. Hyun se tenait debout juste à côté, sa cuisse au contact de sa jambe.

 — Qu'est-ce que tu veux faire ? demanda-t-elle.
 — On va déjà mettre de la musique, dit-il en sortant son téléphone. Une playlist pop, ça te va ?
 — C'est parfait !

 Le mojito sans alcool était vraiment délicieux – sucré, avec ce goût de menthe caractéristique en bouche. Après une journée aussi éreintante, c'était l'idéal. Hyun la resservit sans qu'elle n'eut à le demander. La musique n'était pas trop forte, juste de quoi créer une ambiance détendue.

 — On devrait jouer à un jeu, ajouta brusquement Olympe. Pour apprendre à mieux se connaître.

 Hyun rit. La jeune femme n'aurait su dire quoi, mais il avait quelque chose de différent ce soir-là.
 Il portait un jean délavé et une chemise brune, décorée d'un liseré blanc qui parcourait la couture. Derrière la casquette et le tablier ringard que Clémence les forçait à porter, Olympe ne faisait généralement pas attention à la façon dont il s'habillait. Malgré l'odeur forte de café, de transpiration et de produits nettoyants qu'ils dégageaient tous les deux après une interminable journée de travail, Olympe le trouvait plutôt classe.
 La jeune femme l'observa se resservir un verre avec l'expérience de tout bon serveur. Quand leur regard se croisèrent, aucun d'eux ne le détourna.

 — Ça me va si c'est toi qui commences.
 — Ça marche. On joue à action ou vérité ?

 Hyun rit de nouveau, toujours sans la quitter des yeux.

 — On est retournés au lycée ?
 — Tout le monde dit ça mais au final, tout le monde aime bien y jouer, geignit Olympe, n'ayant pas la patience de chercher un autre jeu du même genre.
 — Tu n'as pas tort. Alors vas-y, action ou vérité ? Tu choisis en première, on était d'accord.
 — Action !
 — Je croyais que le but c'était d'apprendre à ce connaître ? plaisanta Hyun en se balançant sur ses pieds.
 — C'est le cas. Allez vas-y.

 Hyun hésita un petit instant, baladant son regard aux alentours pour chercher des idées. La pénombre dans laquelle ils étaient plongés ne devait pas l'aider. Avec la nuit qui avait envahi le café depuis déjà plusieurs heures, leur seule source de lumière venait de la cuisine à la porte entrouverte. Outre le fait qu'allumer les lumières tandis que le café était fermé était proscris, la noirceur du lieu était apaisante après une journée passée dans cette cuisine aussi blanche qu'une chambre d'hôpital.
 Hyun se retourna finalement pour attraper quelque chose qu'elle ne discerna pas tout de suite.

 — Je te mets au défi, dit-il joyeusement en lui présentant une simple tasse blanche, de boire ce café.

 Olympe finit par reconnaître la tasse qu'ils utilisaient avec la machine pour récupérer les gouttes de café entre deux commandes.

 — Ce n'est qu'un mélange de café, répondit-elle, perplexe.
 — Alors vas-y... mais cette tasse n'a pas été lavée depuis longtemps, tu sais.

 Il était vrai qu'elle ne se souvenait pas l'avoir jamais lavée, l'utilisant sans réfléchir, mais ça ne devait pas être si terrible ? Dans l'obscurité cependant, impossible de discerner la saleté. Dégoûtée mais brave, elle approcha le breuvage prudemment et y trempa à peine les lèvres.

 — Eurk ! Allez c'est bon, j'ai bu ! Vire-moi ça de là !

 Hyun, riant à gorge déployée, reposa la tasse.

 — Tu as gagné mon respect. J'ai l'impression de mieux te connaître maintenant.
 — Ah, tais-toi ! C'est à ton tour.
 — Très bien... action aussi.

 Olympe le força à faire la roue au milieu du café et leur jeu continua sur la même lancée, tous deux ne choisissant qu'action pendant un long moment. Entre devoir poster un statut Facebook honteux, appeler ses parents pour leur révéler un secret des années lycées ou juste lire à voix haute un chapitre d'un livre érotique adapté au cinéma, ils passaient une bonne soirée. Lorsqu'ils eurent fini leur bouteille, il revinrent près du bar, Olympe s'y assit de nouveau et Hyun commença à taper dans les boissons du café, précisant qu'il les payerait plus tard en rouvrant la caisse.

 — Action, dit-il en lui servant un verre de coca.
 — Ok... j'ai été trop gentille avec toi jusqu'à maintenant je trouve... alors montre-moi la couleur de ton caleçon.
 — De quoi ?!

 Hyun en renversa une partie de son verre sur son pantalon. Même de là où elle était, Olympe pouvait sentir la chaleur envahir les joues et la gorge de son collègue.

 — T'es pas obligé de te déshabiller, tu peux juste tirer sur l'élastique !
 — Pourquoi ça, soudainement ??
 — C'est toi qui m'a fait lire un chapitre entier sur des gens qui se donnaient des fessées, alors joue pas l'effarouché ! s'exclama Olympe en pointant sur lui un doigt accusateur, cachant néanmoins difficilement son amusement.

 La jeune femme ne s'était pas autant amusée depuis longtemps.
 Même lorsqu'elle était avec Rayan, elle était paralysée par le stress. Impossible de plaisanter ou de juste faire ce qu'elle avait envie de faire, de peur qu'il la trouve trop gamine. Quand à ses amis, ils lui donnaient toujours cette impression de lui en vouloir pour quelque chose, comme Rosalya avec sa scène ridicule pour une simple annulation, l'empêchant de totalement « se lâcher ». Avec Hyun, elle respirait. Sa simple présence à ses côtés la rassurait.
 Le jeune homme hésita mais, même mort de honte à l'idée de faire ça, dégagea une partie de sa chemise et tira sur l'élastique de son caleçon. Olympe fut plus excitée à l'idée qu'il ait accepté le pari que par la couleur du fameux caleçon, tout bonnement noir, clapant bruyamment dans ses mains.

 — Te moque pas trop ! C'est ton tour ! rappela Hyun en remettant sa chemise dans son pantalon.
 — Très bien... vérité.

 C'était le premier de toute la soirée. Un long silence s'en suivit, tandis que Hyun se rhabillait, évitant son regard. Ses joues ne décoloraient plus, comme alcoolisé, alors qu'ils n'avaient pas bu ni l'un ni l'autre.

 — Est-ce que... est-ce que tu sors avec quelqu'un ?

 Olympe ne s'attendait pas à cette question. Lorsque son regard croisa enfin celui de son collègue, elle comprit instantanément qu'il ne demandait pas cela par hasard. Qu'il attendait une réponse.
 Elle comprit quelque chose qu'elle refusait de voir depuis le début. Olympe déglutit et détourna le regard.

 — Non... je n'ai personne.

 Puis, elle ajouta, sans réfléchir :

 — Et toi ?

 Ce n'était pas son tour ; il aurait pu refusé de répondre.

 — Moi non plus.

 Un léger malaise s'installa mais Olympe tenta de le briser en lui demandant de la resservir.

 — C'est à ton tour.
 — Si tu le dis, murmura-t-il dans un sourire embarrassé. Vérité.
 — De quand date ta dernière relation ?

 Hyun accrocha son regard de nouveau. La jeune femme pouvait presque sentir tous ses efforts pour maintenir son visage le plus impassible possible ; mais ses yeux ne la trompaient pas. Il eut un discret soupir.

 — Je sais pas si on peut vraiment parler de relation... mais deux ans. Et toi ?

 Olympe hésita, un peu honteuse.

 — Quatre.

 La jeune femme baissa la tête, ressentant ce besoin de se confier, même en sachant que ce n'était peut-être pas le bon moment pour ça. Ni la bonne personne. Pas après ce qu'elle venait de comprendre sur lui.

 — Tu... tu ne redoutes pas d'être de nouveau intime avec quelqu'un, après tout ce temps ?
 — J'en sais rien... je me pose pas vraiment cette question.
 — J'ai l'impression que je ne sais plus comment me comporter face à quelqu'un qui me plait...

 Comme avec Rayan. À peine Rayan effleurait-il le bas de son dos qu'elle perdait absolument tous ses moyens. Impossible d'avoir le moindre rendez-vous avec lui sans se comporter de manière étrange, à faire des blagues qui tombaient à plat ou à se tromper dans ses références, quitte à passer pour une idiote. Le moindre rapprochement et elle le repoussait, paralysée par la peur de ne plus savoir quoi faire, comment faire.
 Le corps de Hyun était si proche du sien qu'elle sentait sa respiration contre sa joue. Pourtant, cette proximité ne la dérangeait pas, son contact ne l'effrayait pas.
 Le jeune homme ne parlait plus, son visage tourné vers le sien, son regard accroché à ses lèvres, bien qu'il n'en eut probablement pas conscience lui-même.

 — Est-ce que je te plais... Hyun ? murmura-t-elle.

 Ce dernier leva les yeux et répondit d'une voix tout aussi basse. Timide.

 — Je pense que tu connais déjà la réponse à cette question.

 Oui, elle la connaissait. Et si elle était honnête, elle s'en doutait depuis le début.

 — C'est à ton tour, dit-elle.

 Hyun sourit et se recula légèrement.

 — Très bien. Vérité.
 — Non. Choisis action, trancha Olympe, sans une once d'hésitation dans la voix.
 — D'accord, rit-il. Alors action.

 Et Olympe plongea son regard dans le sien, le souffle court et les jambes en feu, comme après une course.

 — Embrasse-moi.

Fallen {Amour Sucré Campus Life}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant