Interlude : Hinata Shouyou

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Shouyou profita que l'attention se porte en cuisine pour se glisser dans la petite pièce où sa mère reposait. De toute façon, il valait mieux qu'il s'éloigne du feu pour éviter un incident comme la dernière fois.  

La salle était sombre mais chaude et ne comportait qu'un seul lit, enfin, un matelas de paille posé par terre.

"Shouyou, c'est toi ?"

Shouyou sentit son cœur se serrer. Sa mère était tellement faible qu'elle ne pouvait lever le bras ni la tête et de jour en jour, il avait l'impression que sa voix s'éteignait de plus en plus. Elle n'était plus qu'un murmure éraillé maintenant, loin de la voix pleine de vie qui résonnait en un rire exaspéré devant ses bêtises, loin de la voix douce qui lui chantait dans le creux de l'oreille pour le calmer.

"Oui, maman. Comment vas-tu aujourd'hui ?" demanda-t-il, connaissant déjà la réponse.

Si sa mère avait encore de l'énergie, elle aurait ri. Cependant, elle n'esquissa qu'un faible sourire et souffla comme si le simple geste lui coûtait de l'énergie.

"Shouyou, fit-elle d'un murmure.

- N-Non, coupa-t-il soudainement aux bords des larmes. J'ai trouvé un guérisseur. Je l'amènerai demain. Il pourra te soigner."

Il regarda sa mère, rempli d'espoir.

Il devait y croire, elle devait y croire. Il y avait un moyen, il y avait toujours un moyen. Ils devaient rester optimistes et s'accrocher à la moindre chance que les Ères leur offraient.

Malheureusement, les yeux de sa mère s'allumèrent d'une lueur désolée.

"Tu dois te faire à l'idée, parvint-elle à dire. J'ai déjà de la chance d'avoir survécu jusque là... D'être rassurée que mes enfants ne souffriront plus de la guerre..."

Shouyou serra la mâchoire, ses poings se refermèrent et sa vision se troubla.

"Demain, le guérisseur viendra. Il... Il te soignera", laissa-t-il échapper dans un sanglot avant de s'effondrer près du lit.

Non ! Sa mère ne pouvait pas mourir. Elle ne pouvait pas les laisser, pas abandonner Natsu. Elle ne pou-

Une main frôla son avant-bras. En levant la tête, Shouyou vit que sa mère essayait de le réconforter. Il prit sa main dans les siennes.

"Shouyou, tu n'es pas seul. Sache-le. Le guérisseur ne pourra rien pour moi... Cela fait des mois que je suis dans cet état..."

Elle fit une pause, la respiration sifflante, avant de reprendre :

"Shouyou... Je ne survivrai pas jusqu'à la semaine prochaine...

- Ne dis pas ça, commença Shouyou mais un léger mouvement dans ses mains l'interrompit.

- Tu es comme ton père, optimiste jusqu'au bout et le cœur sur la main... Il serait fier de toi, de vous trois...

- Papa n'aurait pas supporté de te voir dans cet état, murmura-t-il.

- C'est vrai, souffla-t-elle. Moi non plus, je n'ai pas supporté de le voir partir pour l'armée..."

De nouveau une pause, seulement perturbée par la respiration sifflante de sa mère et les rires et exclamations provenant de l'autre salle.

"Shouyou, promet-moi une chose."

Il se redressa, surpris. Les yeux de sa mères, si semblables aux siens, s'éclairaient d'une once de vie et de détermination qui leur devenait de plus en plus rare.

"Promet-moi, de toujours rester fidèle à toi-même, peu importe ce que les autres veulent de toi, d'accord ?

- Promis'', répondit-il sans hésiter.

Sa mère le regarda un instant puis ferma les yeux, satisfaite. Ses cheveux bruns si brillants avant, étaient ternes et entouraient son visage d'un halo rouge sang dans la faible lueur des bougies. Hinata serra une dernière fois la main de sa mère avant de porter un sourire fictif et de retrouver les autres pour le dîner.

*

Il ne fut pas surpris quand sa mère abandonna ses dernières forces la semaine d'après mais cela n'empêcha pas la tristesse de s'ancrer dans son cœur. 

*

Il regarda le ciel étoilé tandis que le feu s'éteignit devant lui. Natsu frissonnait contre lui, fatiguée par la tristesse mais elle restait éveillée. Kenma était assis à leur droite, les yeux baignés de larmes qui reflétaient les rayons de lune. Tadashi était effondré contre son épaule, ses épaules secouées par les fantômes d'un sanglot et son visage sombre enfouit dans le léger tissus qui composait la tunique de Kenma.

Tout était silencieux, les crépitements du feu s'évaporant avec lui. 

Un souffle s'éleva et il fut le seul à le voir, ses amis regardant le sol ou ayant les yeux fermés. Les cendres tourbillonnèrent dans le ciel avant de disparaître quand la brise prit en ampleur. Il observa le ciel à nouveau et il sentit. Il les sentit. Deux lèvres, plus légères qu'une caresse, se posèrent sur son front, soulevant légèrement ses mèches rousses. Le contact dura moins d'une seconde et il se demanda s'il ne l'avait pas rêvé. 

Une larme coula à nouveau le long de sa joue, suivant sa courbure et s'arrêtant au coin de sa bouche. Elle était différente des autres cependant, elle portait avec elle un espoir, un renouveau, et non, un passé et une tristesse. 

Il regarda encore le ciel, avec un léger sourire aux lèvres cette fois, sachant que sa mère était partie sans regrets, qu'elle avait confiance en lui et qu'elle lui laissait une responsabilité et une promesse qu'il comptait tenir durant toute sa vie. 

Il passa la nuit à contempler les points lumineux dans le ciel, se demandant laquelle détenait l'âme de la femme la plus forte qu'il ait connu.


***


"Sais-tu pourquoi le Renouveau est ma saison préférée ? demanda Anna à un jeune Shouyou qui secoua vivement la tête. Parce qu'il vient toujours après le Grand Froid. Vois-tu, le Grand Froid est rude, il emporte avec lui la vie et les couleurs, comme si la forêt s'endormait dans un état mélancolique et silencieux. Cependant, lors du Renouveau, la vie reprend malgré cette longue période noire. Le Soleil revient et les animaux sortent pour se mettre en couple, les végétaux reprennent racines et les forêts récupèrent leurs couleurs et leurs parfums. 

J'aime cette saison car elle prouve qu'après la mort, il y a toujours la vie. Que même si on a l'impression de rester bloqué sur la glace, d'être toujours enveloppé d'un froid qui nous fige le cœur, il ne faut pas oublier qu'il y aura toujours un soleil pour nous réchauffer et faire fondre la glace. 

Ne l'oublie jamais, Shouyou, il y aura toujours un soleil pour t'éclairer et dégeler ton chemin, même s'il est dur à trouver. Et des fois, ce sera toi, le soleil de ceux qui t'entourent, prend cette responsabilité comme un cadeau et embrasse-la comme un honneur." 

Enfant De Rien, Fils Du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant