Sous l'épaisse couche de caoutchouc de ma semelle, la surface poudreuse crisse. Ou plutôt, je m'imagine qu'elle crisse. Dans ce silence assourdissant, je ne peux entendre qu'un seul bruit. Sourd, fort, à m'en arracher les tympans. C'est celui de mon sang dans mes tempes, propulsé à toutes vitesse par un cœur battant à tout rompre dans ma cage thoracique à une cadence délirante. Ces coups sourds me prennent tout entier. Et puis soudainement alors que je regarde l'horizon, plus rien. Les coups de butoir de mon cœur, la course folle de mon sang dans mes veines, tout disparait subitement pour être remplacer par le sifflement aigu d'acouphènes. Profondément engoncés sous les innombrables épaisseurs qui composent mes gants, mes poings serrés se relâchent. Comme tout le reste de mon corps d'ailleurs. C'est vraiment qu'ici, rester debout ne demande presque aucun effort malgré le lourd attirail que j'ai sur le dos. Je fais quelques pas, complètement subjugué par la beauté incommensurable du paysage. À nouveau, mon cerveau hallucine le crissement de pas sur du sable. Je relève la tête et fond en larmes à la vision qui s'offre à moi, tombant à genoux. Toute ma vie n'aura été que pour cet instant. Toute ma vie n'aura été que la préparation de cet instant précis. Depuis ma naissance même. Tout ces obstacles ne m'ont que rendu plus fort. Et Dieux seul sait qu'ils auront dû être hauts et nombreux pour me pousser si loin. Là, face à moi, se lève la planète bleue, dans toute sa splendeur astrale. Au-delà des petites sphères d'eau flottantes dans mon scaphandre, monte lentement la Terre, dominant l'horizon lunaire d'une blancheur parfaite, rendue éblouissante par la réflexion de la lumière solaire. Dans ce calme cosmique, dans cet océan au dimensions inconcevables, dans ce bal astral, moi, poussière insignifiante, ai vécu une existence incroyablement courte pour finalement naviguer une distance ridicule pour apprécier cet instant. Moi, représentant d'une espèce d'à peine neuf milliards de représentant, ai été désigné pour porter plus haut que jamais les couleurs de notre monde. Mais...est-ce réellement si haut la Lune ?
