Il est environ 7 heure 30. La tranchée se réveille lentement. Hastiou et Rocfoly du tour de garde de 5 heures sont assis de part et d’autres d’un tonneau, jouant aux cartes. Le soleil se lève doucement, donnant au ciel de douces couleurs pastelles. Dans la fraicheur ambiante de ce matin du 21 février, le bois qui nous entoure émet les bruits calmes de la forêt. Accoudé au bois d’étayage de la tranchée, je fume une cigarette en contemplant ce spectacle d’un air absent. Difficile de croire que nous sommes en guerre. Les autres disent qu’en face de nous les allemands veulent se battre. En tout cas, ici, on les a pas beaucoup vus. Soudain, dans le lointain, retentit un tonnerre. Intrigué, j’écrase ma cigarette et tend l’oreille. Dans la tranchée, le murmure matinal se transforme en une masse de questionnement formulés à haute voix. Chacun lève la tête et porte son attention au son. Puis, en quelques secondes, un sifflement. Mais qu’est ce que c’est ? Soudain je comprend. Mes yeux s’écarquillent. J’ouvre la bouche pour hurler. Trop tard. La pénombre matinale s’illumine d’un flash. Une barrière de détonation déchire le calme. Les arbres volent en éclats. Les oiseaux s’envolent en masse. Mais les hommes, les hommes restent cloués au sol. Le souffle me soulève de terre et me propulse trois mètres plus loin. Sonné, les tympans sifflant plus qu’un sifflet, je relève la tête. Je découvre la terre retournée, la tranchée partiellement écroulée. Hastiou gît le nez dans ses cartes, un large éclat de métal lui traversant le crâne de part en part. D’autres, recroquevillés, tentent de se protéger comme ils peuvent. Là-bas, un bras dépasse d’un tas de terre. Je me précipite pour aller le sortir de là. La seconde salve siffle puis explose. Le tas de terre et l’homme à l’intérieur explosent en une bouillie de boue ensanglantée. J’abandonne et me jette dans une tranchée. Pas assez vite. Un long éclat de métal me cueille au vol et me transperce la poitrine. Lentement, au fond d’une tranchée perdue dans le bois des Caures, je meure vidé de mon sang, le 21 février 1916 à environ 8 heures.
