CHAPITRE 7 : Barbie

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Le 31 octobre 1879,


Cher journal,


Comme tu as pu le constater, je ne peux pas t'écrire très souvent. Madame Kelly en attend beaucoup de nous et nous en demande beaucoup afin que la réputation de la maison reste intacte. Rien ne peut être laissé au hasard. Quoi qu'il en soit, je n'avais, de toute façon, pas énormément de chose à te raconter, mis à part le petit incident d'hier : un homme avait tenté d'entrer dans la maison pour prendre part à la fête, alors qu'il n'y était pas invité et qu'il n'avait pas les moyens de rester parmi nous, heureusement il a rapidement été mis à la porte. Il ne s'est rien passé d'autre pendant les neuf jours précédents. Aujourd'hui, en revanche, j'ai pu participer à une activité qui m'était jusqu'alors restée inconnue : nous avons été autorisées à aller nous balader avec les autres filles, au bord d'un charmant lac (où nous avons d'ailleurs toutes, ou presque, fini nues). Ce fut une balade vraiment agréable. Nous sommes d'abord passées dans l'avenue de l'Opéra (elle a ouvert il y a peu de temps sous la direction de monsieur Haussmann), puis nous nous sommes dirigées sur les bords de seine, ensuite nous nous sommes rendues sur le Canal St Martin où nous avons pu y faire une balade dans une sorte de barque, et nous avons fini à la guinguette où nous avons eu l'occasion de profiter du soleil resplendissant et où nous avons eu la chance de boire un léger rafraîchissement. Nous avons oublié, l'espace de quelques heures, le malheur qui guette nos vies.

Quant à ce soir, ce fut plutôt calme, nous n'avons pas eu énormément de clients. Cette journée pleine de joie et de calme nous a réellement fait le plus grand bien. Pour dire vrai, je suis la seule, ce soir, à avoir reçu un étrange parti. Il s'agissait d'un homme d'une quarantaine d'années, grand, brun, avec, semblerait-il, beaucoup de moyens qui me faisait part d'étranges requêtes. D'abord, il m'a demandé de me déshabiller entièrement. Puis de me mettre face à lui. Il a examiné toutes les parcelles de mon corps nu et cambré sous la pression de ses douces mains. Il me paraissait, au premier abord, être un homme autoritaire, mais il était en réalité plus de ceux qui se laissent mener par le courant de leur imagination. Pendant une trentaine de minutes, il n'a fait que me regarder, m'observer avec désir, sans oser m'approcher, comme si j'étais je ne sais quel démon qui pouvait prendre possession complète de son corps pourtant rude. Il avait l'air de me désirer, autant qu'il avait l'air de me craindre. Il a enfin fini par sortir de ce fauteuil dans la chambre « japonaise », dont je t'ai déjà parlé rapidement, aux coussins rebondis et confortables. Il s'est approché de moi et a attrapé mes hanches d'une poigne sèche et brusque. Il n'a pas pris la peine de se défaire entièrement et n'a retiré que le haut de son bas. Commença alors ce qui devait être fait, puis, au bout d'une quinzaine de minutes il s'est arrêté soudainement, s'est retiré et s'est éloigné à la fenêtre. Dans mon rôle de femme parfaite, j'ai dû aller le voir et lui demander ce qui n'allait pas. Après de multiples tentatives vaines, il se tourna vers moi avant de me demander de faire la poupée. De me comporter comme une poupée. Ayant pour devoir d'obéir aux moindres désirs de mes clients, je n'ai pas pu lui refuser. Commença un théâtre grotesque duquel j'étais prisonnière. Pendant une trentaine de minutes, j'ai dû supporter le supplice qui m'obligeait à me tordre et à me mouvoirde façon saccadée, au point d'en avoir mal aux articulations. Quand tout cela prit fin, j'ai premièrement ressentis un sentiment de soulagement, puis, dans un second temps, je me suis sentie ridiculement ridicule. Tout ceci ne m'était jamais arrivé à Tours, j'en restais particulièrement offusquée.

J'ai également découvert une étrange pratique : l'entôlage. C'est Rose qui m'en a parlé : cette pratique, particulièrement malhonnête consistait à détrousser son client en lui faisant les poches et en raflant portefeuilles, montres et alliances à des fins de revente. Je ne serais jamais capable de telles choses, mais pour elle, ainsi que pour certaines autres de la maison, il semblerait que ce soit une pratique courante.

Après ces quelques mots, il commence à se faire réellement tard et je pense que la journée de demain sera elle aussi particulièrement éprouvante, comme la plupart de mes journées à Paris. À dans quelques jours sûrement. D'ici là, fais-moi une faveur, veux-tu : réveille-moi quand ce cauchemar aura pris fin.

LES FILLES MORTES NE MENTENT PAS                      *JOURNAL D'UNE PROSTITUÉE*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant