Le 15 novembre 1879
Cher journal,
Cela fait quatre jours que je ne t'ai pas donné de nouvelles, à vrai dire je n'en avais pas la force. Mon état semble se dégrader. Je suis maintenant atteinte de toux et de conjonctivite, je suis victime de nausées et de vomissements. D'après le médecin, je souffre de déshydratation et j'ai une insuffisance hépatique et rénale. Je trouve aussi que j'ai de plus en plus de mal à respirer. Je ne sais pas ce qu'il est en train de se passer, je ne comprends pas ce qu'il m'arrive, personne ne comprend d'ailleurs, mais j'ai peur, j'ai vraiment peur.
Mon ami Guy est venu me rendre visite aujourd'hui, il avait l'air d'être inquiet lui aussi. Nous avons bu un thé tous les deux et avons longuement discuté ; enfin il s'est plus exprimé que moi à vrai dire, puisque je n'ai plus réellement de force. Il a d'abord abordé le sujet qu'est la IIIème république. Premièrement, il m'a parlé de la victoire républicaine aux élections municipales. Ensuite, il m'a parlé de la démission de Mac Mahon. Ce président, élu par la majorité royaliste, a démissionné en janvier dernier après six ans de mandat, suite à un manque de soutien parlementaire et a donc laissé sa place par défaut à Jules Grévy, un parlementaire engagé auprès des républicains. Peu de temps après son début de mandat, Jules Grévy fait voter un amendement constitutionnel qui s'avère conférer le pouvoir exécutif au président du conseil, dirigé par William Henry Waddington, engagé dans une politique de laïcisation de l'État, et fait ainsi devenir le rôle du président essentiellement honorifique. En février, Léon Gambetta a été élu président de la Chambre des députés et Jules Ferry est devenu ministre de l'instruction publique. Quelques temps avant la tempête qui a ravagé la France, Jules Grévy a fait adopter la Marseillaise, qui est maintenant l'hymne national, et a exclu les religieux du Conseil supérieur des universités. Notre président a aussi fait voter deux autres lois : la première, relative au siège du Pouvoir exécutif et des Chambres à Paris et la seconde, obligeant les départements à avoir une Ecole Normale de garçons et une Ecole Normale de filles. Ensuite, Jules Grévy a également fait signer à Lat Dyor Diop damel, le roi du Cayol, le traité de construction de la ligne de chemin de fer Dakar-Saint-Louis. Pour finir, il finit par m'indiquer que notre honorable président a signé il y a quelques jours le retour des deux Chambres de Versailles. En m'observant il dû remarquer mon désarroi et changea donc de sujet immédiatement : il se lança sur les conditions de nous autres prostituées, soumises ou insoumises. Avant qu'il commence à m'exposer tout son avis, nous nous sommes regardés pendant de longues minutes. Il a donc commencé par m'expliquer qu'il a énormément de considération pour nous autres prostituées, qu'il pensait d'ailleurs en faire le principal sujet d'un de ses écrits. Il m'a dit que d'après lui et plusieurs de ses amis écrivains, les maisons de tolérance étaient une bonne chose, puisqu'elles aident au bien être des personnes, et surtout des hommes. Il m'a rappelé que Victor Hugo en était aussi un grand adepte. Au-delà de la simple notion de luxure, il a souligné que nous avions un métier fort compliqué, mentalement comme physiquement et que ces conditions ne pouvaient correspondre à toutes. Il avait l'air d'avoir compris que notre vie ici n'était, pour les plus nombreuses d'entre nous, pas un choix mais une nécessité, une urgence, voire une obligation. Il savait que les filles ici ont, pour la plupart, des dettes, certaines plus importantes que d'autres. Mais il me disait également que nous avions beaucoup de chance d'avoir intégré le Chabanais, puisque, contrairement aux deux cent autres maisons localisées dans Paris, elle est l'une des plus réputée, et l'une des plus respectée. Et ce, malgré sa création datant de la dernière averse, autrement dit malgré son caractère récent. Toutes ses réflexions à voix haute, sans que j'en ai effectivement conscience, me donnèrent à réfléchir, dans la mesure où mon corps et mon énergie me le permettaient bien sûr.
Il a quitté la chambre à la fin de cette discussion, plutôt de ce monologue. Cela fait maintenant deux heures que je suis seule et que je me sens plus faible que jamais, je pense que mon état se dégrade de jour en jour. J'avoue que tenir ce journal aujourd'hui, après quatre jours d'intenses douleurs, m'aide, d'une certaine façon, à m'évader.
J'aimerais que le médecin me dise ce qu'il est en train de m'arriver, j'aimerais que Madame Kelly cesse de me regarder avec ce regard triste, j'aimerais que Rose vienne me voir de temps à autre, j'aimerais que les autres filles se montrent plus gentilles, et par-dessus tout j'aimerais être sur pied le plus rapidement possible, afin de reprendre mes activités.
Je suis triste et je suis incapable de penser, de réfléchir, je suis faible d'esprit. Je suis endolorie et le moindre de mes membres est superbement lourd et engourdi. Je manque incroyablement de vigueur physique et d'énergie, de force. Alors par pitié, fais-moi une faveur : réveille-moi quand ce cauchemar aura pris fin.
VOUS LISEZ
LES FILLES MORTES NE MENTENT PAS *JOURNAL D'UNE PROSTITUÉE*
Short StoryKaterina Tellier, connu sous le nom de Cristal, issue d'une petite ville, veux se sortir de sa vie monotone et gagner son indépendance. Elle devient fille public très tôt et se voit obligé de quitter sa ville natale. Sa nouvelle vie, dans la capital...