CHAPITRE 8 : Davina

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Le 07 novembre 1879,  


    Cher journal,


Cette semaine n'a pas été de tout repos, j'ai eu bien plus de clients que les semaines précédentes, plus que certaines des filles ici d'ailleurs. Mais ce n'est pas le motif pour lequel je t'écris ce soir. Cette journée n'a pas été réellement simple pour moi. Aujourd'hui a été le jour de ma quatrième visite médicale. Je dois bien l'avouer, j'étais, comme les trois fois précédentes, très gênée de cette situation. Toutes les autres filles, elles, avaient l'habitude, et ça se voyait. Elles s'installaient sur la table avec aisance, s'exposaient aux yeux du médecin et surtout des autres filles sans complexe aucun. Les unes après les autres, rapidement, de façon fluide et continue, elles s'installaient rapidement, sans poser de questions, et certaines en priant pour que le médecin leur dise « tout est en ordre », car celle-ci était la seule phrase qu'il nous adressait. Comme les trois fois précédentes, tout allait, pour le moment, bien pour tout le monde, y compris pour moi. Jusqu'à ce que celle qui était devenue mon amie, Davina, une grande blonde aux yeux clairs particulièrement gentille, s'installât anxieusement sur la table d'examen. Le médecin changea de visage et pris un air déconcerté, puis, changea celui-ci pour un air inquiet. Il fit signe à Madame Kelly et s'isola avec cette dernière. Personne ne comprenait ce qui était en train d'avoir lieu. Davina se mit à pleurer. Ils revinrent au bout dequelques minutes et emmenèrent Davina, sanglotante, dans le bureau de Madame Kelly. Nous sommes restées figées, toutes, à nous regarder, nous demandant tour à tour, si quelqu'un savait quelque chose. Lorsqu'au bout d'une dizaine de minutes, Davina sortit du bureau, le visage inondé par des torrents de larmes. Elle semblait être faible, marchait avec difficulté et était prête à s'écrouler de chagrin à tout moment. Toute l'après-midi, elle n'a fait que dormir et ne nous a pas adressé un seul mot : elle semblait perpétuellement pensive. Puis, au début de la soirée, elle nous dit qu'elle n'allait pas y prendre part. Elle nous annonça alors qu'elle était atteinte de vérole. Tout d'un coup, un silence de mort s'abattit sur la salle. Personne ne savait trop quoi dire, tout le monde la regardait les yeux emplis de tristesse et de pitié. Nous savions alors, qu'il lui restait peu de temps et surtout qu'après sa mort nous allions devoir récupérer ses clients.

Je dois bien avouer que la soirée a été compliquée et particulière pour chacune de nous. Mais elle s'est corsée lorsque j'ai vu Guy entrer dans le salon. Cela faisait alors un moment que je ne l'avais pas vu et je ne me doutais pas une seconde de la raison de sa présence. C'est après avoir discuté avec Madame Kelly, pendant quelques minutes, qu'il est venu me voir et m'a demandé une prestation. Il me suivit dans la chambre « japonaise », puisque c'était la chambre à laquelle j'étais assignée ce soir. Il me retira ma robe rouge coquelicot, retira les baguettes de bois de mes cheveux et les laissa tomber doucement sur mes épaules nues. Pendant la demi-heure qui suivit, je devins son objet sexuel. Sur le dos, sur le ventre, à genoux, attachée, il faisait de moi ce qu'il désirait et il avait l'air d'aimer ça. Je ne l'avais pas vu ainsi. Je ne le connaissais pas depuis une éternité, mais, la part de lui, révélée par ses gestes, à cet instant, m'a effrayée et offensée. Je me sens salie, utilisée, idiote, triste et énervée. Toutes ses émotions traversant mon corps frêle et faible me rappellent à quel point un côté de moi envie la situation de Davina.

       

J'aimerais fermer les yeux jusqu'à en être éclairée, dormir jusqu'à ne plus me réveiller, partir jusqu'à ne plus revenir, jusqu'à ne plus subir. Fais-moi donc une faveur : réveille-moi quand ce cauchemar aura pris fin.

LES FILLES MORTES NE MENTENT PAS                      *JOURNAL D'UNE PROSTITUÉE*Où les histoires vivent. Découvrez maintenant