Libres

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Il ne se rend pas encore compte à quel point il a raison...

Owen s'avance en premier et tend la main vers la poignée qui cède sans le moindre effort. Il nous plaque contre le mur :

- Surtout, vous restez derrière moi.

Il donne un petit coup de pied dans le battant et passe sa tête par l'embrasure.

- C'est bon ! On peut y aller, nous chuchote-t-il.

La pièce où nous sommes à présent est immense et sans fenêtres, signe que nous nous trouvons toujours au sous-sol. Des néons éclairent par-ci par-là d'énormes caisses noires alignées perpendiculairement les unes aux autres.

D'ailleurs, en remarquant ces dernières, je m'arrête net. Mary me rentre dedans et Owen se retourne en entendant le choc :

-Winter, qu'est-ce qu'il se passe ? m'interpelle-t-il, inquiet. Oh, je te parle !

J'ai écarquillé les yeux et ma bouche s'ouvre petit à petit, en signe de surprise.

- Les caisses... soufflé-je.

- Quoi ?

- Les caisses, recommencé-je, celles que les soldats descendent du train chaque matin. Alors c'est ici qu'ils les entreposent ?!

Owen et Mary parcourent à leur tour l'immense salle des yeux, eux aussi stupéfaits.

Autour de nous doit se trouver une bonne cinquentaine de caisses, des nombres sont peints dessus à la peinture blanche, sûrement pour les différencier. Mais le plus étonnant, ce sont les bruits qui proviennent de ces grosses boîtes noires.

- On dirait des pleurs, ou des cris ! constate Mary, appeurée tout à coup.

- Ne me dites pas que... commence Owen.

Mais sa phrase est coupée par des bruits de bottes et de voix d'hommes s'approchant.

- Cachez-vous, murmure Owen en nous tirant vers une caisse.

Les pas se raprochent de plus en plus vite... Comme la vérité, qui arrive elle aussi au galop. Je commence à comprendre ce qui se trame ici et ça me fait mal, ça me dégoûte. J'ai envie de vomir.

Les soldats ouvrent les portes de la caisse en face de celle qui nous sert de cachette et en sortent des choses qui braillent à s'en percer les tympans. On ne distingue que des ombres à cause du faible éclairage mais c'est largement suffisant pour comprendre de qui il sagit.

- Ce... sont... des enfants, soufflé-je aux deux autres.

Je sais bien qu'ils ont compris mais j'ai besoin de le dire, comme pour m'assurer que ce n'est pas un cauchemard.

Mary étouffe un cri. Owen s'appuie contre le métal de la caisse et s'efforce à respirer lentement.

Je reste les bras ballants et les yeux fixés sur la scène qui se déroulent devant nos regards ébahis. C'est à ce moment-là que je me rend compte de la bêtise que nous avons faite. La curiosité est un vilain défaut, l'Autocrate n'a cessé de nous le répeter durant toutes ces années. On aurait dû l'écouter, il avait raison.

Mais maintenant c'est trop tard, mes yeux sont hypnotisés et mes oreilles suspendues au moindre son que je perçois : au bruit des menottes qu'attachent les soldats aux poignets des gamins, les reliant ainsi entre eux. Au bruit de la seringue qui se vide quand le soldat appuie sur le piston, dans le cou de chaque petit. Et à présent, aux bruits des pas robotisés des enfants qui avancent en ligne droite vers la sortie.

Ils semblent avoir tout oublié : la raison de leur présence ici, la peur, les sanglots, les cris... Même le bruit des soldats autour d'eux, qui ne sont pourtant pas des plus discrets.

IncontrôlableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant