CHAPITRE 1

81 12 30
                                    

Les cours avaient repris depuis plusieurs semaines maintenant et la décision que j'avais prise cette année avait bouleversé ma vie. Changer de matière avait été une bénédiction, les langues anciennes étaient tellement passionnantes ! Chaque matin, je me levais le sourire aux lèvres en pensant aux textes que j'allais découvrir en latin, en grec, en araméen... Je crois que j'ai enfin trouvé ma voie et ça me fait tellement de bien ! Dire que ces dix dernières années, je suis toujours allée en cours en trainant des pieds... Maintenant, j'ai enfin trouvé un domaine qui m'intéresse et pour lequel je suis douée.

Il ne faut pas croire que tous mes problèmes se sont envolés pour autant. Je n'arrive toujours pas à me faire des amis dans ma promotion, les autres étudiants semblent si jeunes à côté de moi... Que pourrais-je dire à une élève de 18 ans ? Surtout que j'ai l'impression d'avoir passé ma vie à passer à côté des choses que les autres jeunes font. Comment pourrais-je avouer à quelqu'un que du haut de mes 21 ans, je n'étais jamais allée à une soirée avec des jeunes de mon âge et que je n'étais jamais tombée amoureuse ? C'était vraiment trop la honte. En plus, même si on m'avait invitée à une soirée estudiantine, qu'aurais-je bien pu y faire ? Je n'écoutais pas le même style de musique qu'eux, je ne savais pas danser, j'étais trop grande et ne savais pas quoi faire de mon corps. J'aurais été tellement ridicule en me balançant d'un pied à l'autre en tentant de suivre le rythme. Non, les soirées, ce n'était vraiment pas mon truc.

— Avant de vous laisser partir, j'aimerais vous annoncer que mon assistant M. Barrow va ouvrir un club de traductions de textes en lien avec Babylone. Je sais que vous n'êtes qu'en première année, mais si ça vous intéresse, sachez que vous êtes également les bienvenus. Les inscriptions sont ouvertes cette semaine, je pense que M. Barrow démarrera les séances la semaine prochaine.

La voix grave du Professeur Henry m'avait tirée de ma rêverie. Son cours d'assyro-babylonien était passionnant, mais je n'avais pas pu empêcher mes pensées d'errer vers de lointains horizons. En observant attentivement l'homme d'âge mûr devant moi qui jouait avec sa moustache, ses propos firent soudain écho en moi : un club de traduction ? Sur Babylone qui plus est ? Cette ville avait toujours exercé sur moi une étrange attraction. Peut-être parce que les dernières recherches de maman portaient sur cette ville ? En plus, un club, c'était l'occasion rêvée pour rencontrer des gens dans un contexte moins formel que les cours et plus facile à gérer qu'une soirée sur le campus. Ramassant en vitesse mes affaires et les fourrant dans mon sac, je descendis les escaliers en direction de l'estrade pour demander des renseignements supplémentaires au Professeur Henry lorsqu'une bande de jeunes filles me poussa pour passer devant moi. Je rêvais : les jeunes étaient si mal élevés ! À quoi bon me pousser pour arriver avant moi ? C'était tellement ridicule.

— Tu es toujours aussi lente, Carter. Tu n'as pas du tout changé, tu te laisses toujours marcher sur les pieds et les bonnes opportunités t'échappent.

Cette voix... Non, c'était un cauchemar. Ça ne pouvait pas être lui. Pas après tout ce que j'avais vécu au lycée par sa faute. Inspirant profondément et prenant mon courage à deux mains, je me retournai et me retrouvai face à Aidan. Le seul et l'unique Aidan Watson. Celui qui avait fait battre mon cœur au collège lorsqu'il m'avait prêté quelques centimes pour que je m'achète un sandwich à la pause de midi. Après ce jour, je m'étais fait tellement de films en imaginant qu'il m'avait remarquée et que je lui plaisais... J'avais commencé à faire plus attention à mon apparence à ce moment-là. Adieu les boucles folles, je lissais désormais mes cheveux afin de les discipliner, j'avais volé le maquillage de tante Kathryn et j'avais accepté de porter les accessoires tape à l'œil qu'elle m'offrait, mais que je trouvais jusque-là beaucoup trop luxueux pour être portés à l'école. J'avais fait tellement d'efforts dans l'espoir qu'il m'adresse la parole et me propose un rencard... Mais tout avait volé en éclat et il m'avait brisé le cœur en terminale. Depuis, j'avais suivi ses exploits de loin sur les réseaux sociaux. Je savais qu'il faisait des études de sciences politiques dans une université réputée du pays : alors que faisait-il ici juste devant moi ?

Aelyn, l'enfant de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant