CHAPITRE 11

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Je finis par me décider à détacher mon regard de mes baskets et à lever les yeux vers M. Barrow qui me fixait avec une intensité qui me mit mal à l'aise.

— Votre silence est éloquent. Vous feriez mieux de m'accompagner, vous devez lire quelque chose.

— Je crois qu'il serait préférable que je rentre, ma tante doit m'attendre...

Il laissa échapper un petit rire narquois et me saisit fermement par le bras pour me ramener dans son salon.

— Nous savons tous les deux, Mlle Carter, que votre tante est absente en ce moment. Je vous déconseille de me mentir.

Un frisson me traversa l'échine et me glaça le sang. J'avais l'impression d'être une brebis en proie au grand méchant loup : il allait me dévorer et ne faire qu'une seule bouchée de moi. Je n'aurais jamais dû venir ici. Je savais que c'était une mauvaise idée et je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même et à ma maudite curiosité.

— N'ayez pas peur, je ne vais pas vous manger, lança-t-il d'un air taquin.

Son comportement me déstabilisait au plus haut point. C'était comme s'il lisait en moi comme dans un livre ouvert, comme s'il savait à quoi je pensais, comme s'il connaissait tous les détails de ma vie – même plus que moi-même. De plus, son comportement était si déconcertant. Parfois il semblait avoir de l'affection pour moi, il me parlait de façon tendre, me souriait, faisant manquer un battement à mon cœur – sotte que j'étais ; mais l'instant d'après, il redevenait un être froid et distant qui me considérait avec un air hautain comme si j'étais un animal inopportun dont il ne savait que faire.

— Vous connaissez un peu la Mésopotamie, Mlle Carter ?

— J'ai lu plusieurs ouvrages qui en parlaient, en effet. Mais, je ne me considère en aucun cas comme une spéc...

— Cessez de donner des réponses à rallonge et répondez simplement à ma question. Je vous ai demandé si vous connaissiez un peu la Mésopotamie, en aucun cas je n'ai exigé que vous me racontiez votre vie, me coupa-t-il en insistant sur le « un peu ». J'étais à nouveau redevenue cette petite bête encombrante qui l'agaçait.

— Désolée...

Il leva les yeux au ciel et je me rendis compte que j'avais encore une fois commis un impair. Il fallait éviter les fioritures et les réponses à rallonge, c'est bon, j'avais compris cette fois.

— Asseyez-vous, m'ordonna-t-il d'un ton qui n'admettait aucune réplique en indiquant un confortable fauteuil en velours noir. Ce dernier se trouvait face à la table en chêne massif qui trônait d'un côté du salon à proximité d'une grande bibliothèque remplie d'ouvrages anciens dont les titres me semblaient étrangement familiers.

Il disparut à nouveau me permettant de détailler avec une curiosité grandissante les livres que j'avais face à moi. Certains étaient écrits dans des langues européennes ce qui me permit de déchiffrer aisément les couvertures : Dictionnaire d'akkadien, Précis de mythologie mésopotamienne, Légende de Nergal et Ereshkigal... Nergal. Ce nom ne m'était pas inconnu. Je ne connaissais pas la légende, mais j'avais déjà entendu le nom de Nergal quelque part... Ou l'avais-je lu dans l'un des carnets de maman ? Je fronçais les sourcils en tentant de rassembler mes souvenirs. D'où venait ce nom ? J'aurais voulu me lever pour prendre l'ouvrage dans mes mains et en lire le résumé ou les premières pages, mais je me doutais que M. Barrow n'apprécierait pas que je touche à ses affaires sans sa permission et que je me mette à jouer les petites fouineuses. Je décidai donc d'opter pour une réaction plus moderne en adéquation avec mon temps et sortis mon téléphone de ma poche pour faire une recherche sur internet. Mais, ma déception fut grande en remarquant que je n'avais pas de réseau et que je pouvais dire adieu à ma connexion internet. C'était étrange tout de même. La dernière fois que je m'étais rendue chez M. Barrow, il me semblait avoir entendu Aidan parler au téléphone : alors, pourquoi avait-il du réseau et pas moi ? C'était tellement injuste ! Comme si une jeune femme de 20 ans pouvait vivre au 21e siècle sans son téléphone... Ce n'est pas comme si j'avais beaucoup de personnes à contacter, mais j'aimais bien actualiser ma boite mail et vérifier mes réseaux sociaux, juste au cas où quelqu'un aurait essayé de me contacter. C'était complètement utopiste, je le savais, mais j'avais découvert une nouvelle page sur les réseaux sociaux peu de temps après la rentrée « Spotted University ». Des étudiants de l'université avaient décidé de créer cette page pour que les élèves puissent envoyer anonymement des déclarations à une fille ou un garçon qui avait réussi à attirer leurs regards au détour d'un couloir ou dans un cours, et bêtement, je mettais à jour cette page des dizaines de fois par jour dans l'espoir que quelqu'un ait eu un petit coup de cœur pour moi. Évidemment, ça n'était encore jamais arrivé. Pourtant, il y avait eu quelques déclarations pour des filles étudiant les langues anciennes, mais je n'étais jamais la destinatrice de ces déclarations enflammées... J'étais, et je demeurais, le vilain petit canard de la classe, invisible et pas attirante pour un sou.

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⏰ Dernière mise à jour : May 16, 2020 ⏰

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Aelyn, l'enfant de la luneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant