Torture et doute

49 3 0
                                    

C'est ainsi qu'après de féales et longues années de service on mit un terme à ma garde royale. Elle qui avait commencé à partir du moment où Ellas, ma ville natale, fut libérée. C'était il y a fort longtemps...

En 221, un jour de juillet, Tosmar est venu nous libérer du joug des esclavagistes virniens, cet après midi là, le voyant se battre comme un tigre, j'avais pris un pied de table pour m'en servir comme un gourdin. Nous finissâmes la bataille ensemble et la confiance qu'il eût envers moi depuis ce moment avait résolu au plus grand honneur qui pouvait être fait à un homme : être nommé à la tête de la garde royale.

Pourtant, j'étais là, isolé du monde, dans une ferme où l'on écorchait les porcs... et aussi bientôt, les hommes. En un rien de temps, je suis passé du zénith au nadir ai-je pensé pendant qu'arrivait l'assassin enchaîné. Il était escorté par un cortège de bourreaux qui était en fait... mon unique famille, mes compagnons d'armes.

Thys, la femme de Tosmar, régente du tribunal (et du pays pour transmettre avec fluidité le pouvoir aux fils souverains) était intelligente ; le Nold, depuis la réunification, est dans un nouvel élan, on dit que les tribus jadis opprimées sont désormais libres, gouvernées par une unique couronne juste et puissante. Notre fière nation s'est aussi ouverte au reste du monde, des ports commerciaux ont été ouverts et grâce à cela l'économie fleurit comme jamais auparavant. On s'est juré maintes fois qu'une fois après avoir accumulé assez de puissance  nous irions libérer les peuples asservis outre mer. 

La torture, pour un état aussi lumineux que le notre, est donc vue comme si abominable qu'il est logique de la bannir, c'est ce qu'a fait Tosmar, mais pas la reine. La veille de mon jugement, Thys a édité une nouvelle loi se basant sur une philosophie encore plus ancrée dans le Nold ; elle se base sur le fait que subir l'injustice n'est pas un grand problème et qu'il est bien pire de commettre l'injustice. Par conséquent, elle a jugé bon d'officialiser la torture, non pas comme une peine pour le torturé mais au contraire pour celui qui torture. C'est aujourd'hui la pire sentence possible dans la juridiction noldienne, pour la simple raison qu'elle efface définitivement l'honneur de quiconque. 

Or, le paradoxe dans tout ça, c'est qu'accepter ce châtiment relève d'un comportement honorable, car sauvé est le brigand qui se repend en acceptant docilement son jugement. Donc à la fin de cette peine on redevient comme un enfant, car la balance est neutre, à la différence près que je suis à présent au bout de ma vie, recommencer à zéro c'est finir à zéro, et aussi qu'après avoir vécu tel que je l'ai fait, je ne serais jamais le marmot innocent que l'on a tous été.

Cette fois-ci les condamnés, c'étaient nous.

Étant l'ancien chef de la garde, je n'étais tout de même pas rabaissé à soumettre la question, mais je supervisais et commanditais mes compagnons le faisant. La seule façon de racheter notre dignité était d'exécuter les ordres donnés "faire souffrir jusqu'à l'aveu et l'acquisition d'informations sur un commanditaire ou un mouvement ayant prémédité l'assassinat" ; notre seul but n'était devenu plus qu'avoir le droit de mourir paisiblement, avec l'honneur sauf.

Nous étions le dix décembre, quatre jours après l'assassinat. La température devait avoisiner les moins-treize degrés et comme d'habitude, il neigeait. Sous nos fourrures de yack Noldiens, nous observions le moins-que-rien, nu comme un ver, l'âme ne tenant qu'à un fil du corps, avachi dans la terre battue de la soue à cochons où on l'y avait mis.

Nous le guérissâmes.

Bien que le séjour qu'il passa dans les caves des égouts de la capitale l'avait rendu méconnaissable, couvert d'hématomes, nous ressentions bien qu'était là, le meurtrier, l'assassin, le monstre, l'illustre parjure... la source de tous nos maux.

Malheureusement pour lui, notre médecine était l'une des meilleures du monde si bien que nous pouvions torturer quelqu'un presque indéfinitivement dès lors qu'on le soignait, et, il se trouvait, que l'on avait pour ordre de lui extirper son mobile, ou tout ce qui avait pu le motiver. Par conséquent, un moment terrible pour lui s'annonçait. Il était déjà condamné à mort, mais ce n'était rien car il devait d'abord subir les supplices énumérés dans un parchemin du tribunal qu'on lui énonça : « [...] Ta main gauche, avec laquelle tu as commis le régicide, sera coupée à la scie, la cicatrisation, accélérée par la fonte de souffre sur la plaie. Puis, chaque os seront un à un démembrés. Enfin, enchaîné dans un bain d'huile bouillante, on t'y versera de l'eau. À l'orée de la mort, tu seras écartelé par quatre chevaux jusque trépas s'en suive. Puis ton corps sera brûlé et dispersé afin qu'ayant aucune sépulture, ton âme erre sans repos.»
Le condamné semblait s'être totalement abandonné à son destin et, on eut eu grande pitié pour lui s'il n'eusse été l'homme qu'il fut. Il râla piteusement un incompréhensible mot, c'était le dernier... si l'on omet les cris de souffrance qui suivirent.

Il hurla. Et même les loups semblaient être empathiques, car eux aussi, hurlaient.

Après avoir commis ce crime expiatoire, notre âme était salie alors même qu'elle aurait dû être lavé, mais il fallait s'en accommoder car cela deviendrait notre quotidien. On noya notre conscience dans une eau-de-vie de pommes de terre pendant qu'on voyait ses restes partir en fumée... On n'eut rarement vu un aussi beau cadre gâché de telle sorte, car au centre d'une jolie ferme composée de trois beaux bâtiments de gré de qualité, où la flore hivernale était magnifiée par la course de fugaces renards des neiges à l'horizon, tout semblait si paisible. Pourtant, on calcinait un corps humain... 

On jeta ses cendres dans un blizzard naissant. Et je crois que ma pénitence prenait sens car, j'avais moins honte d'avoir laissé tuer mon roi et mon ami, que d'avoir accepté ces atrocités.

J'avais failli de mon mieux et maintenant, je réussissais de mon pire.

Cela voulait-il dire qu'avec honneur on ne peut être que le héros tragique malmené par la fatalité ? Celui tellement décrit dans ces antiques récits dramatiques ?

Mon second, qui avait de surcroît l'alcool triste, maugréa qu'au fond, nous ne savions rien de l'homme, et que, sans même avoir assister au procès, et sans avoir posé de questions, on l'avait détruit, on l'avait annihilé. Il se plaignit que par ces ordres on n'avait souillé non pas seulement le condamné, mais aussi nos propres personnes !

En fait, nous avions effectué cette tâche dans une absence cruelle de justice ; peut être est-ce celui qui prononce la sentence qui devrait l'exécuter, c'est ce que j'ai pensé.

Nirar d'Ellis, Honneur d'un bourreau désignéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant