Tristesse et damnation

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On se quitta avec beaucoup d'émotions, mais nul ne le montrait.

Les chevaux renâclaient et se blottissaient entre eux contre le froid, même les longs poils de cette race spécialement noldienne ne les protégeaient pas assez. Entre deux reniflements Kloup, qui était petit et encore plus vieux que nous l'étions tous, me passa de vieilles poires séchées.

-M...Merci, Kloup soufflais-je en claquant des dents.

Ses petits yeux surmontés de broussailleux sourcils dégageaient toujours une réconfortante espièglerie. 

-Je les ai fourrés à la liqueur de poire... glissa-t-il avec un clin d'œil, la honte qui donne aux vieux homme un air triste s'imposait dans les plis de ses rides. Il s'en alla. Et se retournant il dit, toi, merci.

Pourquoi merci ? Peut être ne saurais-je jamais. Cette mission c'est du suicide

De la ferme jusqu'à la capitale, trois jours de voyage.

J'ai toujours aimé les chevaux du pays, avec leurs longs poils et leurs yeux vifs, bien qu'ils étaient lents, ils étaient vraiment fidèles. En plein doute introspectif on ne parla presque pas, pourtant, pour la première fois, j'ai eu l'impression de le connaître comme personne et comme jamais, c'est triste qu'il faille attendre si longtemps, presque 40 ans que l'on se côtoyait tous les jours.

Ou alors, peut être qu'avant, je le connaissais parfaitement, mais... c'était avant que l'on ait perdu nos âmes. Probablement, à présent, je découvrais une nouvelle facette de l'homme, facette qui demeurait depuis toujours en puissance au fond de son âme et qui n'avait jusqu'alors aucune raison de se dévoiler.

Je me rappelle de notre rencontre, je l'avais pris sous mon aile à la libération de Yorn, la fameuse cité portuaire de l'est de l'île située sur un cap homonyme, l'une des plus peuplées d'ailleurs. -Nos destins furent liés depuis-. À ce moment là, il était très jeune, et je l'avait sauvé alors qu'il allait se faire violer... par une semi-douzaine de pourritures sales de corps et de coeur à en faire fuir les mouches. Mordante était cette vision de l'enfant qui venait d'assister à ce même sort subit par sa mère et ses sœurs... Sa rage nourrit depuis lors sa stricte et irrassasiable soif de grandeur morale.

Arrivés sur une colline où l'herbe gelait, on apercevait la capitale, froide et majestueuse, pas très dynamique mais à grande vocation ; elle faisait le carrefour de toutes les autres villes de l'île. L'élévation déboisée sur laquelle nous nous trouvions au milieu d'une forêt figurait comme un îlot dans l'océan et l'idée de la chaleur d'un repas près d'un âtre nous réchauffait le cœur. On descendait avec une forme de calme-oisiveté des mottes...puis après d'autres mottes, on traversait des ruisseaux et des torrents, on enjambait des rocs et des troncs, et c'est soudainement, venus de nulle part, que des bandits de grands chemin passèrent par là, ils étaient dix, nous étions deux et nous étions d'excellents bretteurs !

Mais ce n'est pas un récit de héros.

Deux flèches, une dans le crâne de Nantith, l'autre dans celui de son cheval, je fuis. La pudeur m'empêche de décrire ce que j'ai ressenti. C'est arrivé si subitement, mon esprit laissa place à mon instinct. J'ai fuis !...

Habituellement un cadavre leur suffisait comme butin mais je portais toujours l'écusson du roi et ils avaient probablement peur que je les dénonce aux autorités puisque quatre d'entre eux me poursuivirent à cheval. C'étaient des chevaux communs, ils étaient plus rapides et je ne connaissais pas très bien les lieux, tout se profilait mal et l'idée d'abandonner mes autres compagnons en n'accomplissant pas ma quête alors que Nantith venait de périr dans ce but me poussa dans mes plus profonds retranchements, j'y pris ce qu'il me restait d'énergie. J'avais cinquante mètres d'avance mais quand j'en faisais cinq, ils en faisaient dix. J'aperçu une cabane, je mis pieds à terre, m'élança, slalomant entre les arbres, les flèches sifflaient, se fichaient sur les troncs, faisaient vibrer l'air autour de mes oreilles, dans l'angoisse et la panique la plus totale, je pénétrais dans l'enceinte de haies, ouvrais la porte, rentrais, la fermais à clef, tirais mon épée.

Mon souffle rapide et court fumait, petit embrumement dans ma vison troublée par les larmes. Ma bestialité s'appraîtait à surgir.

Nirar d'Ellis, Honneur d'un bourreau désignéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant