Partie IV

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Les yeux le brûlent. Les aiguilles de la grosse horloge en bois entament une litanie macabre qui lui file le tournis lui rappelant que le temps avance mais pas lui. Il perd la notion du temps. Il voit pourtant les heures qui défilent mais il oublie les jours qui passent. Il n'y a que le journal écrit en russe qui lui rappelle inlassablement que les jours s'enchaînent et qu'il n'a plus le temps.

Son regard se brouille. Il esquisse un geste rageur vers les feuillets qui s'éparpillent au sol. Une seule chance. Une seule.

Peut-être que c'était trop grand pour lui. Peut-être qu'il a décidé de tous les mettre en danger par pur égoïsme. Il retient un soupir de lassitude. Les dos ankylosé par sa posture voutée il se lève.

La chambre d'hôtel qu'il a prise lui semble toute petite. Il sent qu'il va étouffer. Pourtant il évite de sortir. Après tout il n'y a que trois ans qu'il est congelé.

Tony avait sans doute raison. Tony a toujours raison. Après tout c'est lui le héros. Sous ses airs de dandy arrogant il n'a pas hésité à se sacrifier. Sous sa morale douteuse dormait un grand justicier. Steve lui... Steve n'est bon qu'à parler. Faire des longs discours qui résonnent et faire suivre des hommes.

Pourtant il a soulevé Mjöllnir. Ça doit bien vouloir dire quelque chose.

Au fond de lui il le sait.

Strange ne l'aurait pas rattrapé.

-x-

Peggy est dans ses pensées. Ici il n'est qu'à trois ans d'elle et quelques kilomètres. Ici elle n'a pas rencontré son mari, celui qui l'effacerait de sa vie, elle n'a pas son fils. Elle se bat contre la douleur qui lui enserre la gorge à chaque goulée d'air qu'elle inspire alors qu'elle entend les derniers mots qu'il lui a prononcé. Est-ce qu'il a fait le bon choix ?

Et puis il se souvient. Il la voit quand elle attaque douce, féline, précise. Il voit ses pieds qui se tendent, s'arquent et pointent. Ses cheveux tourbillonnent et retombent en arabesques contre ses épaules. Il voit son rire qui éclate dans sa gorge et qui fait trembler les murs. Ses yeux assassins, sa nuque gracile, son nez aquilin et ses pas agiles. Il pense à ses mains qui dansent sur les armes, à ses poings qui effacent ses larmes. Il sent dans sa bouche le goût de sa peau et tout contre y a comme un goût d'amertume qui grince. Le manque lui vide le cœur et lui broie la poitrine avec une force qu'il était loin d'imaginer avant.

Elle me manque.

Moi aussi.

La première fois qu'il l'a vu, il avait le cœur rempli de Peggy. Il n'arrêtait pas de les comparer. Il retrouvait de celle qui avait aimé dans la force de Natasha, dans sa verve et dans ses attitudes. Mais si elles étaient fortes toutes les deux elles étaient aussi cruellement différentes. Là où Peggy était douceur et tendresse, Natasha était soutien et ivresse, si Peggy était une femme d'action Natasha était l'action.

Il ne parvient pas à se souvenir du moment où elle a commencé à grignoter son cœur. C'était insidieux. Ça c'est fait en douceur. Elle a pris une place de plus en plus importante jusqu'à le remplir presque entièrement.

Ce cœur qui a battu trop fort quand elle a sauté sur son bouclier. Lui qui a eu les mains moites lorsqu'elle l'a embrassé dans ce centre commercial bondé. Il se souvient de ses tempêtes intérieures lorsqu'elle flirtait avec Bruce, son air de petite fille égarée collé au visage. Son cœur s'est fissuré quand il l'a vu près de Tony dans cet aéroport désert, ses coéquipiers collés au train alors qu'il n'en voulait qu'une seule à ses côtés. Elle l'a suivi. Elle a toujours été là, toujours. C'était eux contre tous. A chaque fois. Ils ont dormis dans des hôtels délabrés, ils ont été des indociles, des condamnés, des hors la loi. Ils se sont battus, ont pleuré ensemble et se sont tenus la main. De nombreuses fois.

Il se souvient de Clint. Qui rentre seul. Il se souvient du regard qu'il n'avait que pour lui et de la douleur qui l'a cloué au sol, l'espace d'un instant comme s'il ne parvenait plus à respirer correctement.

Il n'y arrive toujours pas.

Alors oui, il a fait le bon choix. Et il y arrivera.

Lorsqu'il s'approche à nouveau du petit bureau branlant où les papiers du SHIELD s'éparpillent. Son cœur se fige brusquement.

Vous ne sauverez personne d'autre ce jour-là. Personne.

Les mots qui s'impriment dans sa rétine lui file brusquement le tournis.

1946-1956. Red Room. Entraînement : Le soldat de l'hiver.

Le Roi du Silence {TERMINÉE} Où les histoires vivent. Découvrez maintenant