Partie VI

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Il ne s'était pas attendu à ça. Pas attendu à ce que son cœur endure autant, à ce que sa peur ressurgisse effrontément. Trois jours qu'elle tient sa position en chien de fusil et regarde par la fenêtre la pluie qui tâche le paysage et fait vibrer les carreaux. Elle aura sa peau.

Un marcel noir souligne sa taille fine et ses cheveux sont tous désordonnés sur ses épaules. Il frissonne. S'approche. Il a l'impression d'être un dresseur, un dompteur, peu importe, chaque pas qu'il fait et auquel elle répond et c'est trois autres en arrière qu'elle fait d'un bond.

Il pense à la guerre qu'il a loupé et ses poings se serrent de ne pas y avoir assisté. De ne pas avoir aidé. Mais le monde n'a pas eu besoin de lui pour la gagner.

Trop absorbée dans ses pensées elle ne l'a pas entendu arriver, alors quand il approche la gaze imbibée de son bras meurtri, il a à peine le temps de réagir qu'elle lui a attrapé le poignet. Il lève son autre main, contrit, le regard serein.

– Il faut soigner ça, dit-il dans un souffle.

Il désigne la plaie qui grignote son biceps, elle le regard un peu trop longtemps, puis décide de le lâcher, son regard le quitte et l'instant d'après elle est déjà loin, les yeux rivés vers d'autres chemins. Il approche le coton du sang séché et avec des gestes doux qu'il ne se soupçonnait pas il s'applique à panser ses plaies, pour éviter de trop penser. Elle ne réagit pas, pas même un tressaillement. Elle a été bien entraînée.

– где мы ?
Où sommes-nous ?

Pour le coup elle en a laissé tomber l'anglais.

– Dans ma chambre d'hôtel, fait-il avec prudence.

Ses yeux l'observent inquisiteurs et il se sent doucement qu'elle refait surface, sa peur. Pourtant il pensait l'avoir bien enfermée mais il n'y peut rien s'il a à tout moment la sensation qu'elle pourrait s'envoler, disparaître à tout jamais.

– On ne va pas rester.

Elle penche la tête de côté comme si elle tentait de le déchiffrer.

– Pourquoi ?

– Le KGB va te chercher et ma tête est beaucoup trop célèbre.

Il esquisse un sourire en coin, il se dit que ça va venir par lui faire trembler les lèvres. Rien à faire, elle a toujours cette mine effarouchée collée aux traits.

– Je vais rester avec vous, alors ?

Tout d'un coup ça le prend, il se dit qu'elle n'a que vingt ans, c'est presque une enfant. Il se sent tremblant. Elle a dans le regard les éclats d'une gamine, Steve se dit qu'il pourrait la dessiner par cœur cette mine.

– Si tu veux bien, je pourrais te raconter et...

– Vous m'apprendrez à me battre ? Comme vous avez fait pour le Red Guardian ?

Elle a des étoiles dans les yeux d'un coup, il en a la folle envie de fondre sur ses lèvres et de l'aimer... beaucoup. Il tremble un peu, recule et la fixe droit dans les yeux. Il n'ose pas encore lui dire que c'est elle qu'il lui a appris la plupart de ses frappes. Pourtant il ne peut que dire que revoir Bucky, encore une fois l'a fait faiblir, s'il elle n'avait pas été là à se mêler dans l'action, il aurait sûrement tourné moins rond. Il cherche encore les réponses de son gestes, est-ce qu'elle le voyait comme une bouée, comme l'homme qui allait la sauver, son salut ou autre de plus...

– да.
Oui

Et pour la première fois elle lui sourit, au fond de lui brûle l'envie.

-x-

– Я могу ?
Je peux ?

Ça fait bien vingt minutes qu'il se débat avec cette compresse d'alcool et qu'il tente tant bien que mal de nettoyer cette vieille plaie. Il est surpris mais a le bon goût de ne pas le montrer. Il lui tend le coton les lèvres entrouvertes. Elle lui prend délicatement et applique le désinfectant avec douceur. Il frissonne sous ses gestes.

– Vous guérissez vite.

Il ne répond pas. Il se concentre sur ses doigts. Il serre les lèvres, y a des souvenirs qui cognent, brûlants dans sa tête.

– Cet homme. Vous le connaissiez.

– C'était mon ami. Il y a... pas si longtemps finalement.

– Le KGB ne fait pas dans la dentelle, ils ont tendance à effacer tout ce qui fait de nous des rebelles.

Il baisse les yeux, sa main attrape la sienne et pour la première fois elle ne se retire pas.

– Vous disiez que vous me connaissiez. J'ai oublié des choses... Je... Ils ont effacé... Est-ce que...

– Non. Je ne sais pas grand-chose de ton passé, Nata...lia. Mais j'ai appris de la personne que tu seras dans quelques années.

Elle retire sa main comme brûlée.

– Je ne comprends pas.

Il attrape sa main à nouveau et la douceur dont il fait preuve semble l'apaiser. Il vrille son regard au sien, clair contre acier.

– Un jour. Je te raconterais je te promets.

– Vous avez l'air hors du temps. Pas de la bonne époque.

Il sourit, l'ironie le frappe de plein fouet. Il n'est pas à sa place en 1948 visiblement. Il pourrait en hurler.

– Vous m'aimiez.

Il se fige. Elle dit ça comme une constatation. Ça lui brûle les entrailles, lui, cette façon qu'elle a de lui balancer ça à la figure, comme d'un rien. Il ne répond pas après tout mentir ne sert à rien.

Le Roi du Silence {TERMINÉE} Où les histoires vivent. Découvrez maintenant