Le Roi du Silence {TERMINÉE}

Partie II

– Je savais que vous viendriez

– Vraiment ?

Un rictus qu'il ne se connaît pas déforme ses traits. Sous ses doigts gourds, la cuillère de son café entame des va et vient dans le liquide infâme. Il relève son visage vers son vis-à-vis, il ne l'a vu que quelques instants. En sang. Puis en noir. Pourtant, il lui semble le connaître depuis toujours.

– Je sais ce que vous voulez, Captain.

Steve se penche en avant, le bar est miteux et il plisse les yeux sous la fumée qui les enveloppe comme un brouillard épais.

– Ah oui ?

– J'ai vu notre passé, notre futur et votre présent. La fille ne reviendra pas.

Il tape du poing sur la table. C'est aussi brutal que douloureux. Ça a claqué, comme ça, des gens se sont retournés, inquiets. Strange masse ses tempes grisonnantes, l'air épuisé.

– Dans quelques années, je dirais à votre ami Stark qu'il n'y a qu'une seule et unique possibilité sur quatorze millions six cent cinq. Une seule. Dans cette réalité, votre amie meurt et votre monde survit. Si vous changez ça, personne ne reviendra. C'est ce que vous voulez ?

– Vous savez bien que non.

– Avancez, Rogers ça vaut mieux pour tout le monde. Et retournez dans votre époque.

Il se lève souplement, balance quelques pièces sur la table poussiéreuse et pose une main sur son épaule.

– Je suis désolé.

Steve penche sa tête entre ses bras, les yeux fermés avec douleur. Il se passe une main sur le visage, las. Il regarde la silhouette s'éloigner, épaules voutées. Alors très lentement, il se lève à son tour et sourit parce que Strange a tout payé.

L'air qui claque contre ses joues le fait frissonner, il ne se souvenait pas que l'hiver de cette année-là ait été aussi froid. Il déambule dans les rues de New York, l'esprit en peine. Y a comme un poids sur sa poitrine, une ombre qui l'opprime. Il aimerait abandonner, avancer. La vérité ? C'est qu'il s'en sent incapable. Il est comme figé, un pied au bord du vide. Il avance parce qu'il n'est plus capable que de ça. Il est Captain America. Il doit pouvoir encore faire ça.

-x-

Au petit matin, il est toujours là. Errant. Terrassé. Il n'a pas de but. Ses méninges sont rouillées à force d'avoir trop réfléchit. Trop tergiversé. Il shoote dans une canette vide, qui s'égare sur les trottoirs. Les mains dans les poches que le froid a engourdies.

– Vous êtes encore là ?

Adossé contre un mur, le regard vissé au loin Strange fait tâche sur le paysage. Pourtant il n'a jamais eu l'air autant à sa place. Steve esquisse un sursaut à peine perceptible.

– Vous n'abandonnez jamais, Captain.

– Il paraît que c'est ce qui fait mon héroïsme. Ou ma stupidité. Un jour vous demanderez à Stark ce qu'il dirait.

Doucement, il se met à marcher à ses côtés. La ville ne s'est jamais couchée, il a vu les badauds dessiner sur les murs, s'exploser la gorge de fumée. Il a vu les filles rire, les hommes s'appesantir. Là New York s'est réveillée, les bus déversent son lot de passagers et les costumes ont pris la place des anesthésiés.

– Il y a une solution.

Steve s'est figé et dans son regard l'espoir à repris sa course animée.

– Ça ne va peut-être pas vous plaire.

– Dites toujours.

– Si vous revenez à la date précise du 12 septembre 1948 et que vous la sauvez, vous pourrez arriver exactement au même point que là où vous en étiez.

– Qu'est-ce ça signifie ?

Strange arrête ses pas, colle sa rétine dans la sienne, le regard sérieux.

– Cette date. Pas une autre. Et votre amie sera une Avengers comme vous. Vous referez exactement le même schéma, encore une fois. C'est comme si tout ce que vous aviez vécu dans votre réalité n'avait jamais existé. Il faudra tout refaire. Les mêmes choix les mêmes erreurs. Encore. Ça existera dans votre époque mais celle-là devra être la même au niveau temporel si vous voulez que la moitié de l'univers reste en vie. Il n'y aura que vous et votre amie qui serez différents. Le reste peut vivre sur la même ligne de conduite.

Steve a froncé les sourcils, brusquement le monde devant tangible.

– Je ne comprends pas...

Strange pousse un soupir comme s'il devait lentement tout expliquer à un enfant.

– Vous allez en 1948...

– Je ne connaissais pas Natasha en 1948, j'étais dans la glace à ce moment-là.

– Et vous devrez le rester.

– Comment ?

– En 1948 vous étiez dans la glace, en 2012 vous en êtes sorti, si on vous sort de la glace à ce moment là, il y aura deux Steve Rogers dans cette réalité et vous devez y rester jusqu'en 2023.

– Vous voulez que je condamne l'autre Steve Rogers à mourir définitivement ?

Strange pose la main sur son épaule solide.

– Steve. Il y a des milliers de combats dans l'univers. J'ai du travail. Comme vous le savez, la fin du monde approche. Vous savez mieux que moi à présent que le temps est inconstant. Et pourtant je suis là, avec vous, à vous aider pour que vous puissiez vivre votre histoire d'amour. Vous êtes un grand homme et sans vous la planète ne filerait plus tellement droit. C'est un devoir d'être heureux maintenant. Alors écoutez-moi, je ne le répèterais pas et j'irais droit au but. Steve Rogers c'est vous. Vous ne tuez pas un homme en vous laissant dans la glace. Si vous voulez revoir votre amie, vous la retrouvez le 12 septembre 1948. Vous ne sauvez personne d'autre ce jour-là. J'insiste. Personne.

Steve hoche la tête doucement. Figé.

– Elle ne vous connaitra pas et c'est le seul cadeau que vous puissiez vous faire. Certaines âmes sont faites pour se retrouver quel que soit le combat.

Strange fait un pas en arrière. Il prend sa main, la serre dans la sienne. Prêt à le quitter. Steve voudrait pouvoir le retenir, il y a mille questions qui se bousculent dans sa tête. Et tout ce bordel qui s'y entête. Où était-elle en 1948 ? Il ignorait même qu'elle était déjà née.

Les derniers mots qui s'échappent du sorcier le cloue au sol et le fait un instant vaciller.

– Mais vous ne devez pas oublier : tout doit se passer exactement de la même façon. Ce qui veut dire, que vous devez laisser votre amie mourir de la même façon. Que vous devrez la voir mourir une deuxième fois