I.VIII

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"Tu es toujours là."


Le trajet du retour avait eu lieu en silence. Personne n'osa parler, et chacun était reconnaissant que les autres se taisent. Les quatre adolescents semblaient perdus dans leur pensée, et ils l'étaient. Ils se repassaient en boucle la dernière heure. Tout ceci n'était qu'un cauchemar. Mais un cauchemar où ils avaient choisi, avec plus ou moins d'hésitation.

Parmi tous les gamins qui passèrent le test ce jour-là, peu se sentirent fiers. Certains se sentaient honteux, de ne pas avoir pu choisir et d'avoir échoué. Certains se sentaient lâches et misérables. Certains se sentaient puissants d'être parvenu à la fin de l'épreuve. Certains étaient terrorisés par eux-mêmes et ne se regarderaient plus dans le miroir pendant un moment. Certains regrettaient leurs choix, et voyaient avec le recul les autres alternatives. Certains étaient morts, certains avaient regardé la mort, certains avaient tué. Quoiqu'il arrive, ils l'avaient vu en face. Et rien ne serait plus jamais pareil. 

Comme c'était souvent le cas, ce fut Jed qui brisa le silence. 

- On va boire un verre? Ma mère m'a filé 10 euros. J'invite. 
- Pas moi, répondit Kei. 

Opal se contenta de refuser par un simple signe de tête. Sous le regard dépité de Jed, Nour hocha la tête lorsqu'il la regarda. Si beaucoup ne voulaient que se taire, Jed avait besoin de parler de ce qu'il avait vu. Elle le savait. 

Ils se retrouvèrent dans le café-bibliothèque Burking encore ouvert, et en très bon état, se rassura Nour. Ils étaient souvent venus dans ce lieu, au coin de la rue où Nour habitait. Nombre des petits commerces avaient fermé mais celui-ci était toujours là. Sa clientèle était très majoritairement âgée, par conséquent, toujours présente. La majorité des vieux continuaient de mener une existence normale, avec le prétexte qu'ils avaient déjà vécu leur vie. "Si je devais mourir demain, qu'il en soit ainsi" avait affirmé l'homme à la table à gauche de celle des deux adolescents. 

Nour prit un chocolat chaud et Jed un café, ce qu'il faisait rarement. Il avait le poing droit serré et le regard viré sur ses doigts de la main gauche qui caressaient lentement les lettres J.O.N. La jeune fille ne parla pas. Elle se contenta de boire sa tasse avec lenteur, attendant patiemment que son ami se décide. 

Quelques minutes plus tard, il entrouvrit les lèvres, mais ce ne fut qu'après qu'il commença à parler. 

- C'était très réel.

Elle ne répondit que par un petit hochement de tête, mais approuvait totalement. Effectivement, elle n'avait jamais rien vu d'aussi réel. 

- Il y avait une petite fille. Elle ressemblait à ma sœur Nour, je me demande même si c'était pas volontaire. Elle était dans une maison, et il y avait le feu et j'ai voulu la sauver mais je savais pas comment, je te jure, j'ai agis comme je l'ai toujours fais, et ça brûlait, la fumée commençait à me piquer la gorge, les flammes à étouffer les cris. Je me suis dis qu'elle allait fondre, et cette idée m'était insupportable. Je suis rentré dans la maison en courant, il faisait noir partout, tout était couvert de suie, tout était cendres, la seule chose que je distinguais, c'était le rouge du feu. J'ai couru, j'ai couru je te jure et je l'ai trouvée. Et son visage... Son visage Nour, la moitié de son visage, il était brûlé! Elle hurlait, elle hurlait alors je l'ai prise et j'ai couru à nouveau pour sortir de là, mais une poutre nous est tombée dessus et j'ai pris feu. Elle et moi on a brûlé, on a fondu et c'était la pire douleur que j'ai jamais ressenti. 

Nour ne dit rien, se contentant d'écouter son récit, le cœur serré. Il ne l'avait pas sauvé. Elle non plus. Elle se surprit à penser qu'elle aurait préféré finir comme Jed. Lui, n'avait tué personne. 

- Elle est morte Nour. Plus vite que moi, j'ai eu le temps de la voir flamber à mes côtés. Je crois que son visage me hantera à jamais. Et simulation ou pas, ça ne change rien. Pendant un moment, elle était réelle. Elle était avec moi. La souffrance dans ses yeux était réelle. Ses cris étaient réels. Sa mort était réelle. Tout ça, c'était vrai pour moi, et même si c'était qu'une simulation, les souvenirs que j'en garde ont la même valeur que les vrais. Les images sont là, elles sont bien là. Et je crois qu'elles ne pourront pas partir Nour. 

La jeune fille releva la tête vers lui, assez rapidement pour apercevoir la menace des larmes au coin de ses yeux. Jed avait toujours été quelqu'un de sensible, contrairement à Nour qui pleurait rarement. Quoique ces derniers temps avaient été assez intenses. 

- Moi aussi, répondit la jeune brune après un temps de latence. Moi aussi j'oublierai pas.
- On devrait partir Nour, se cacher, faire quelque chose. Ce truc de chaos là, je le sens mal, très mal. 
- Et tu veux partir où? Y'a nulle part où aller, on ne peut pas partir d'Eldor, et tant qu'on reste dans ce pays, où que l'on soit, ils nous trouveront. 
- Pas si on se planque bien. 
- Même si on se planque bien Jed, ils nous trouveront. Désolée, mais ce que tu dis, c'est impossible. On ne peut rien faire. 

Elle termina sa phrase dans un soupir et bu une gorgée de chocolat chaud, la gorge serrée. Bien sûr, elle aussi se méfiait de l'opération C.H.A.O.S. mais elle était plus rationnelle. Ils ne pouvaient rien faire. 

- Parfois faut juste accepter que c'est comme ça. On peut rien y faire, ajouta-t-elle en tournant son regard vers sa tasse. 

Le silence retomba sur la table. Le café Burking n'était pas un endroit bruyant. Comme dit plus tôt, il était essentiellement fréquenté par des personnes âgées qui ne parlaient pas fort, ou pas du tout. Mais c'était tout de même un lieu atypique. On y retrouvait tout type de visages venus bouquiner face à une tasse de thé fumante. Une vieille dame assise dans un fauteuil, un couple de deux vieilles gloussant à une table du fond, un garçon assis en tailleur, seul, regardant les étagères avec envie, un homme penché sur un ordinateur, sûrement venu pour se concentrer, un couple d'âge mûr à côté de la table des deux adolescents. Nour laissa son regard glisser sur chaque personne, l'espace de quelques secondes. Ce fût le soupir de Jed qui la ramena à sa propre table. 

- Nour? 
- Oui? répondit-elle en posant ses yeux sur lui. 
- Merci d'être venue avec moi, dit-il, accompagné d'un léger sourire. J'en avais besoin. 
- T'inquiète. Je suis là, assura-t-elle en lui accordant un clin d'œil. 

Jed laissa échapper un rire avant de boire une gorgée de sa boisson, imité par la jeune fille. Il reposa sa tasse et leva les yeux vers elle. 

- Tu es toujours là. 

En parlant, il avait posé ses yeux vert-de-gris sur elle en esquissant un sourire. Nour releva alors la tête et ses pupilles pâles rencontrèrent les siennes. Ils se regardèrent ainsi durant des secondes qui semblèrent s'étoffer en minutes. La jeune brune lui rendit son sourire avec un semblant de timidité, qu'elle n'avait jamais eu envers lui. Ils restèrent ainsi à se regarder, laissant le silence planer.

Nour détourna finalement le regard vers sa tasse pour rompre le contact et finit cette dernière. Elle regarda le dessin formé par les restes de chocolat dans le fond, encore consciente du regard de Jed sur elle. Elle releva la tête et lui adressa un sourire, un tendre rictus, qui, sans rompre le silence, en disait long. 


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Hello! Ca fait 30 ans que j'ai pas posté... Alors je me demande si y'aura encore quelqu'un pour me lire mais si c'est le cas, salut et merci de prendre un peu de ton temps pour mon histoire! J'attends tes retours en commentaires! 



𝗟𝝠 𝗧𝗛𝗘́𝝝𝗥𝗜𝗘 𝗗𝗨 𝗖.𝗛.𝝠.𝝝.𝗦.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant