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"Essayait-on d'effacer les traces en espérant qu'on en effacera ainsi les erreurs? Essayait-on d'oublier en se persuadant qu'il ne s'agissait que d'un cauchemar sans suite?"



Et c'est ainsi que le véritable cauchemar commença. L'État appela ça une erreur. Mais les habitants savaient pertinemment qu'il s'agissait de l'Erreur. Une bombe d'Eldor s'abattit sur l'empire de Xilian. Aucun bilan matériel ou humain ne fut diffusé dans le royaume mais tous les Eldiens savaient qu'ils devaient être importants.

Tout le monde redoutait une contre attaque, bien évidemment. Mais les jours passèrent et rien ne changeait. Nour avait l'impression que le monde s'était figé. Tout était absolument normal, à première vue mais il était facile de déceler les failles. Les regards effrayés scrutant le ciel à chaque bruit d'avion, les cernes violacés sous certaines paires d'yeux, le pas traînant des passants, le mutisme de certains enfants. On ne voyait plus grand monde dans les rues passé 22 heures.

Nour et ses amis passaient donc leur temps dans la chambre de la brunette, mais l'ambiance était souvent lourde. Même les discussions les plus légères étaient enveloppées dans un nuage cotonneux d'angoisses. Mais c'était rarement que le sujet venait réellement sur le tapis. Lorsque c'était le cas, les trois adolescents finissaient par se taire, essayant de regarder les étoiles en ignorant le poids qui semblait les écraser. Mais vous comme moi savons que ce n'est pas chose simple, voire impossible dans ce genre de circonstances.

Un mois s'écoula. Alors que la fin des cours se faisait sentir et que la chaleur devenait de plus en plus étouffante, les visages se déridaient lentement. Il n'y avait pas eu de nouvelles de l'Empire de Xilian, du moins aucune connue de la population. Les guerres dans le pacifiques avaient cessé et on n'entendait plus un mot sur ces événements. C'était à croire que tout ceci n'avait jamais existé. Était-ce que l'on faisait après les conflits? pensa Nour. Essayait-on d'effacer les traces en espérant qu'on en effacera ainsi les erreurs? Essayait-on d'oublier en se persuadant qu'il ne s'agissait que d'un cauchemar sans suite?

En vérité, les avis se partageaient en deux groupes bien distincts. Il y avait les optimistes, encouragés par le mutisme du gouvernement. Ils étaient plus ou moins persuadés de leur sécurité. Si Xilian avait voulu riposter, il l'aurait probablement fait depuis longtemps. Certains parmi ceux n'étaient pas des plus convaincu mais on ne peut vivre dans la peur toute sa vie.
Les autres, comprenant évidemment le professeur d'histoire de Nour, se figuraient qu'il ne s'agissait que d'une question de temps. Plus l'attente devenait longue, plus la riposte serait terrible. Et d'après eux, ça allait faire mal. Très mal.

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24 juin 2119. 15:48

Les magnifiques villes de Berlin, Rome et Liverpool vécurent leur dernière minute.

15:49

Les bombes s'abattirent dans une synchronisation déconcertante, ensevelissant des millions d'habitants et des siècles d'histoire sous les décombres.

Des millions de morts, des survivants ne dépassant pas le millier. Et le vide.

Le vide. La violence avait laissé place à l'incompréhension. Nour ne comprenait pas comment on pouvait être si cruel. Elle n'arrivait pas à se figurer ce que représentaient des millions de morts. C'était tellement abstrait. Un nombre aussi élevé de vie prises en quelques secondes. Cela lui paraissait tout simplement impossible. Tant de morts et le soleil semblait continuer de se lever avec une indifférence qui la faisait frémir. Elle s'endormait et le cauchemar n'était pas pire que la réalité. Il ne pouvait pas l'être.

Sa famille n'était pas du genre à éviter les sujets compliqués, au contraire. Mais les repas familiaux étaient devenus lourds et longs. La menace et le silence planaient au dessus de leur repas, nouant leur ventre. Personne n'osait franchir la ligne et parler. Bien sûr, on échangeait des banalités d'une voix fausse accompagnées de sourires trop légers pour être vrais.

C'est Osten qui sauta le pas. Alors que les derniers rayons du soleil faiblissaient progressivement, le petit se racla la gorge.

- Ce soir le Président va parler. On va regarder?

Le silence plana quelques secondes avant que leur mère n'hoche lentement la tête. Son mari lui lança un regard triste et dubitatif mais elle hocha à nouveau la tête.

- Et qu'est ce qui va se passer maintenant?
- On ne sait pas mon amour.
- Vous croyez qu'on va renvoyer une bombe?
- On espère que non, lui répondit son père.

Nour ne disait rien, poussant un bout de viande avec sa fourchette, préférant regarder son assiette. Elle n'avait pas d'avis sur cette question, ou plutôt elle essayait comme elle pouvait de n'en avoir aucun, de ne pas se la poser. Ça lui paraissait moins terrifiant comme ça. C'était peut-être mieux ainsi. Elle n'arrivait pas à regarder le futur, elle aurait préféré revenir en arrière.

La musique habituelle annonçant les informations démarra mais ce ne fût pas le visage sympathique de la journaliste quotidienne qui apparut. Le Président monta sur l'estrade et le silence se fit dans le salon, dans l'assemblée à ses pieds, et probablement dans toutes les maison Eldiennes ce soir là. Rien n'était plus lourd, plus long, plus bruyant que ce silence-ci. Il ne dura que quelques secondes pourtant le temps sembla s'allonger à outrance.

"Chers citoyens, je devine votre peur. Je vous parle aujourd'hui avec sincérité. Cette guerre a débutée avec l'assassinat de mon fils. Je ne peux effacer ce fait de ma mémoire. Je ne peux néanmoins pas faire passer cette douleur avant mon peuple. Mais il y a trois jours, ce sont des millions de personnes qui ont perdu la vie dans des circonstances tragiques. Et il s'agit du genre de chose que je ne peux laisser passer. À l'heure où je vous parle, des bombes viennent d'être lâchées sur les villes de Chicago et Buenos Aires. Je connais vos doutes, je connais vos peurs. Mais laissez-moi vous promettre que je ne laisserai pas de telles choses se produire à nouveau. Je compte sur vous pour suivre toutes les mesures de sécurité qui vous serons prochainement transmises. Nous vivons des temps durs, mais croyez moi lorsque je vous affirme qu'ils ne seront que de courte durée. Merci."

Il quitta la scène sans plus de cérémonie et la télé devint noire. Kei l'avait éteint. Nour n'osa pas croiser le regard de sa famille, elle se leva calmement et disparu dans sa chambre. Personne ne la retenue. Elle s'assit seule sur le rebord de sa fenêtre avec un peu d'herbe entre ses mains. Elle se roula fébrilement un joint alors que l'air se rafraîchissait lentement. Elle s'y reprit à plusieurs fois pour l'allumer, les mains tremblantes. Lorsqu'elle recracha un premier nuage de fumée, elle ne se concentra plus que sur ça. La fumée, d'abord opaque se dissipait lentement, laissant entrevoir les étoiles. Mais Nour ne semblait pas les voir, un voile plus opaque que la fumée venait obscurcir sa vue. Peut-être était-ce la réalité?

Elle avait grandis dans un monde en paix. On ne leur parlait que peu de guerre à l'école, c'était plutôt un sujet tabou. On leur expliquait que ça avait existé bien sûr, on leur donnait les dates mais ça n'allait pas plus loin. On leur parlait très peu des deux premières guerres mondiales. Quant à la troisième, on préférait aborder la formation des différents empires à sa suite plutôt que les horreurs qu'avait subies cette Terre pendant sept ans. On ne leur montrait ni images, ni témoignages. Ce genre de boucherie était donc très abstrait pour Nour. Les conflits, la violence, même la mort lui étaient partiellement inconnus et confus.

Son téléphone sonna mais elle ne bougea pas d'un pouce, laissant la fumée lui embuer l'esprit. Elle n'avait pas envie de penser. Elle voulait le silence. Elle qui adorait la musique d'ordinaire, elle voulait simplement le silence. Rien de plus, rien de moins. Écouter quoi que ce soit lui paraissait au delà de ses forces. Elle se contentait d'observer le ciel noir, sans bruit, lorsqu'on toqua à sa porte. Elle soupira mais ne protesta pas lorsque Kei vint s'asseoir à ses côtés. Elle ne fit rien non plus quand il lui prit son joint des doigts et tira une taf dessus. En temps normal, elle l'en aurait empêché, aurait essayé de le cacher où lui aurait donné une bonne tape sur le crâne. Mais pas ce soir. Elle n'en avait pas le courage. Elle se contenta de lui reprendre le joint pour tirer à nouveau dessus. La fumée semblait les envelopper dans un voile cotonneux et presque confortable. Très vite, ils ne virent plus que ça. Les étoiles avaient disparu derrière les nuages, promettant des lendemains orageux. Ne restait que le vide.

𝗟𝝠 𝗧𝗛𝗘́𝝝𝗥𝗜𝗘 𝗗𝗨 𝗖.𝗛.𝝠.𝝝.𝗦.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant