Chapitre 3 - Jour de Conseil (Partie 3)

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Lorsque la princesse sortit après sa sentence prophétique, Altar serra la main de Katja, qu'il avait conservée dans la sienne le temps de la session.  Les visages choqués se taisaient dans cette salle devenue glaciale. Seule Hadil désapprouva une telle attitude, indigne d'une future reine. 

Le roi clôtura la séance, le cœur douloureux.

Pendant le trajet vers ses appartements, il se rejoua la scène. Plusieurs membres s'excuseraient auprès de lui de ne pas avoir voté en faveur de sa fille. Certainement Fenigal et Yoron. Avec leurs voix, la résolution changeait. 

Quel aurait été le résultat, si la requête de Flore avait été traitée avant le problème du désert de Salina ?

Les doigts de Katja glissèrent contre les siens, et leur douceur réchauffa son corps frigorifié. Libérée de la sphère d'inhibition, elle engagea une conversation mentale :

Je me demande si ce n'était pas une erreur de garder notre avis pour nous.

— Reinart, en fin politicien, se serait empressé de l'employer comme une arme, objecta-t-il. Un membre de la famille ne peut être soutenu. D'ailleurs, il n'a pas hésité à pousser Flore à proposer l'adhésion. Le reste devenait un jeu d'enfant avec Hadil. Elle ne voit pas plus loin que le bout de son nez tant le pouvoir l'omnibule. Alors l'avenir et le bien-être des Auroréens, n'en parlons pas ! Hélas, nous ne pouvons plus rien y faire.

— Si ! Aider notre fille à trouver les mém...

— Tu oublies que si le Conseil s'en rend compte, il ordonnera mon interrogatoire sous la contrainte, et je ne pourrai pas mentir, coupa Altar, crispé. Tu connais les conséquences : la destitution ! Un fait qu'il nous est interdit de partager avec qui que ce soit.

Katja n'insista pas, même s'il percevait son désaccord. 

Je suis désolé, ma bien-aimée, se murmura-t-il in petto. 

Depuis la révélation de son pouvoir maudit, il se conformait à toutes les exigences du Conseil sans se plaindre ni contester et n'entendait pas changer d'attitude. 

Ma punition pour sa mort !

L'image de son ami, Danisio, surgit, et le souverain retourna aussitôt à son adolescence lors de leur expédition en forêt d'Ostia. Agacé par le garçon en train de« peindre » en trois dimensions avec l'eau au lieu de pêcher, il lui avait jeté à la figure de créer le feu nécessaire à leur repas. Sous l'influence du kiriah de commandement, dévoilé pour la première fois, celui-ci avait obéi au pied de la lettre.

Les effroyables cris de Danisio, piégé dans l'incendie qu'il avait provoqué, brûlèrent son esprit, la fumée emplit ses poumons, et ses larmes de douleur s'asséchèrent à peine échappées de ses yeux. Rejetant la souffrance, il tenta d'éteindre les flammes qui immolaient son ami au regard désespéré avec des moyens dérisoires. Il était prêt à se sacrifier, mais une voix l'appelait, l'appelait, l'appelait...

— Altar, tu es en sécurité dans nos appartements, lui répéta Katja, l'arrachant à son cauchemar.

Le roi souleva les paupières qu'il avait fermées sans en avoir conscience. Après un soupir de soulagement, il remercia sa compagne avant de conclure d'un ton péremptoire :

— Nos enfants devront se débrouiller seuls. C'est notre meilleure aide face au Conseil.


En soirée, le ciel s'assombrit de gros nuages, le vent forcit. Sojeyn pénétra dans le salon, aux nuances de jaune et corail, de ses parents. Ceux-ci contemplaient le jardin malmené par la tourmente, calés au centre de leur sofa, semblant se nourrir de la chaleur du feu qui crépitait dans la cheminée.

L'adolescent traînait une Flore maussade, qui lui avait rapporté son audience et l'attitude inexplicable du couple royal. Il voulait écouter la version de son père, résoudre ce malentendu. Et surtout ne pas envenimer la situation, au contraire de sa sœur, comme le suggérait son visage fermé. La couleur bleu pâle de celui-ci tranchait d'ailleurs avec le reflet plus argenté de ses cheveux. 

Le prince savait que derrière cette façade, la colère la rongeait, mais son éducation d'héritière lui intimait de ne pas exposer ses émotions. Un contrôle auquel il n'était pas autant assujetti. Puis il se détourna d'elle.

Je ne dois pas me laisser influencer.

— Pourquoi n'avez-vous pas soutenu Flore ? énonça-t-il d'un ton calme qu'il était loin d'éprouver.

— Tu connais les règles, répondit Katja. Prendre part à la discussion nous est interdit.

— Même si votre avis ne compte pas, rien ne vous retient de le donner. Nous avons besoin de votre aide pour vaincre cette vision.

— Et si nous avions abondé dans le sens d'Hadil ? opposa Altar froidement.

Sojeyn étouffa une exclamation et recula au fond de son sofa, les yeux ronds, incapable de répliquer. 

Non, pas vous ! Vous ne pouvez ignorer cet avenir abominable

Son regard, chargé de frustration, affronta celui de la détermination du roi, et tout se figea alors autour de lui. Sauf le ciel. Des éclairs le zébraient, projetaient des lumières blafardes sur le visage tendu de son père. La tempête se jouait des murs du palais, comme d'un fétu de paille, et dévastait son cœur. 

Quand Flore se mit debout, elle obligea le temps à reprendre son cours.

— Si c'est votre opinion, nous n'avons plus rien à partager, lança-t-elle d'un ton lugubre. Je me débrouillerai seule. Vous me décevez... énormément. Je vous souhaite le bonsoir.

— Flore, non ! s'écria Sojeyn. Cela ne peut pas se terminer ainsi entre nous. Père, mère, dites quelque chose !

Malgré sa supplication, ses parents conservèrent le silence sans regarder la princesse tandis que celle-ci quittait la pièce, le corps raide. Les prunelles brûlantes et le ventre noué, il murmura :

— Pourquoi ? Expliquez-moi !

— Nous respectons la résolution du Conseil, affirma Altar. 

Sojeyn ne comprenait pas cette réponse, la réfutait, la bannissait. Il aimerait secouer le couple et crier : « Ouvrez les yeux ! Préoccupez-vous au moins d'Aurora. »

Pourtant, aucune parole ne sortit de sa gorge bloquée par une boule. L'adolescent se leva, vidé de toute énergie, capitulant face aux flots de la douleur ; même l'odeur âcre du feu lui sembla agresser son corps affaibli.

— Le Conseil se trompe, vous le savez, parvint-il à souffler. Nous devrions nous battre, les convaincre par tous les moyens, et non baisser les bras.

Sans attendre de réaction, il s'en alla l'esprit troublé, inquiet devant cet avenir sombre. L'attitude de ses parents l'accablait. Il n'avait jamais supposé un jour entrer en conflit avec eux.

Dans sa chambre obscure que des balafres livides éclairaient par intermittence, il s'assit transi de froid sur son lit. Dehors, l'orage gronda et la pluie s'intensifia. 

Le ciel déplore aussi cette journée, conclut-il, amer.


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[Sous contrat] Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant