Flore et Tojian empruntèrent un sentier herbeux, le long de la falaise, sous l'ombre bienfaisante des arbres. Leurs branches feuillues s'entrelaçaient pour former un parasol naturel. Il offrait aussi un écrin à de minuscules fleurs blanches, qui embaumaient l'air de douces fragrances.
La princesse admira les plaines colorées et les monts boisés s'étendant à l'infini, en contrebas, sous le ciel limpide dans lequel paressaient des nuages. Captivée, elle faillit percuter Tojian qui s'était arrêté, avant de noter son regard intense posé sur elle. Il hésitait pourtant à s'exprimer et, d'un sourire, elle l'encouragea.
— Partager avec toi mon lieu secret me réjouit, lui avoua-t-il dans un murmure. Te voir ravie encore plus, tant ton bonheur compte pour moi.
— Tu m'as fait un merveilleux cadeau, balbutia-t-elle, la gorge sèche.
— « Per te servire, mano y mana cora », formula-t-il d'un ton solennel, avec une profonde révérence.
À ces mots, il sembla à Flore que la nature se figeait comme si elle marquait à sa manière cet instant singulier. « Pour te servir avec toute mon âme et tout mon cœur » : la déclaration d'amour auroréenne, bien plus ancienne que les siècles de la Décadence. Elle engageait le noble de Borealia à l'aider.
Quelles que soient les circonstances.
Dans cet étrange silence qui les entourait, la princesse entendit son pouls tambouriner à ses oreilles. Elle se demandait quoi répondre à son cousin. Malgré la tendresse qu'elle éprouvait à son égard, elle ne voulait pas se précipiter et souhaitait employer son récent statut de maître kiriahni pendant ses trois dernières années de liberté avant de se joindre au Conseil. Avant que les portes sur ses préférences personnelles se ferment définitivement.
Heureusement, Tojian se méprit sur son embarras :
— Pardonne mon audace. Tu n'as pas atteint tes vingt-trois ans, mais je désirais profiter de ce cadre magique. J'attendrai jusqu'à cet anniversaire afin de renouveler ma déclaration.
Flore opina, soulagée de ne pas avoir à entamer une discussion dangereuse pour son avenir, même si elle reconnaissait au fond de son cœur que son attitude était lâche. Elle refusa de s'attarder sur ses pensées négatives et rebroussa chemin avec son cousin, obligeant la nature à retrouver le cours du temps. Elle sut gré à Tojian de cantonner leur conversation sur la beauté des lieux.
Une demi-heure après, la princesse regagnait le plateau, détendue. Quand elle aperçut son frère plongé dans sa sieste, un sourire tendre étira ses lèvres : elle ne s'était pas trompée, cette journée leur était bénéfique à tous les deux.
Mais, alors qu'elle s'approchait de lui, ses yeux s'agrandirent sous la stupéfaction. Mioca s'était assise à côté de Sojeyn et, d'une main tremblante, elle lui frôlait une joue de ses doigts, comme si elle tenait une plume. Peu à peu, elle étendait ses effleurements, son visage empreint de béatitude.
Néanmoins, le geste intime finit par réveiller son frère. Il bondit sur ses pieds, et le reflet mauve de ses cheveux blancs se renforça.
— Mioca, que... que fais-tu ? balbutia-t-il.
— J'avais envie de sentir la douceur de ta peau.
Devant son regard franc, il recula. Déstabilisé.
— Je... je n'aime pas beaucoup. C'est trop étrange !
— Dommage. Moi, je trouve cela agréable.
— Tu as déjà été touchée ? questionna Flore, arrivée à leur hauteur.
— Par ma mère. Elle me caressait souvent le visage.
À ces mots, la princesse échangea un coup d'œil médusé avec les deux garçons. Ils n'avaient jamais entendu un tel comportement auparavant.
— Mioca, personne ne le fait ! objecta Tojian. Sauf en cas de nécessité, soigner par exemple ou pour montrer sa confiance.
— Je ne comprends pas. Quel mal y a-t-il à toucher avec un geste amical ?
— Rien, même si c'est contraire à nos coutumes, concéda Flore. Mais tu as surtout agi à l'insu d'une personne sans t'assurer de son accord.
Mal à l'aise, sa petite cousine scrutait Sojeyn du coin de l'œil. Celui-ci avait écouté, silencieux.
— Ne recommence pas avec moi, exigea-t-il enfin.
— Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser.
— N'y pensons plus, la réconforta-t-il d'un ton plus doux, devant sa tête baissée.
Mioca s'en tirait à bon compte. Comme à son habitude, son frère pardonnait à l'adolescente, persuadé que tous ses rêves romanesques disparaîtraient en grandissant. Était-ce la bonne attitude sur un sujet aussi sensible ? Elle n'en était pas convaincue.
J'espère ne pas te voir le regretter un jour.
La voix de Sojeyn interrompit ses réflexions :
— On fait la course pour rentrer, je tiens à ma revanche !
— Tu n'as aucune chance ! s'exclama Mioca, les prunelles emplies d'étoiles.
Son frère et sa cousine se précipitèrent vers leur okyda, puis quittèrent les lieux, sans plus se préoccuper d'eux. Enchantée par l'excursion, Flore eut un dernier regard sur le plateau, avant de remercier Tojian. Ils prirent ensuite le chemin du château de Borealia sans poursuivre les plus jeunes.
Comme tous les jours depuis son retour à l'uriah royal après le court séjour chez Tojian, la princesse se dirigea vers la bibliothèque. Elle se situait au second étage du bâtiment principal, au-dessus du bureau de sa tante, à l'aplomb du grand hall d'entrée.
La période était appropriée aux recherches que Flore s'était promises sur la tribu légendaire, puisque la plupart des Auroréens étaient occupés à la préparation de la fête de la Moisson. Et, si l'aile ouest, dédiée à la santé, bourdonnait telle une ruche, celle à l'est ne résonnait plus des cris joyeux des apprentis.
Personne ne la dérangerait.
Dès le rideau psychique multicolore de la porte franchi, le silence la frappa. Il pénétrait au plus profond de son âme, l'invitait à s'immerger au cœur des entrailles de la pièce, prête à dévoiler ses secrets sur les mystères de la vie. La princesse se laissa imprégner par l'atmosphère studieuse et se faufila au milieu du mobilier en bois patiné qui complétait ce cocon chaleureux.
Elle s'assit à sa place habituelle depuis une semaine, près de la fenêtre avec sa vue sur le jardin, et son savant fouillis autour de la fontaine, aujourd'hui soumis à une pluie incessante. Indifférente à son environnement, elle se concentra sur les bulles de lecture sélectionnées parmi celles ordonnées sur les étagères du fond de la salle, plongée dans la pénombre.
Flore positionna une des sphères pourpres translucides au centre du comurion, puis activa le réseau. La toile dorée s'illumina. Elle accéda directement aux informations à l'aide de termes spécifiques : la fin des siècles de la Décadence ou la création des Principes. Sans se lasser, elle recommençait avec la bulle suivante.
Si elles n'apportaient pas les réponses attendues, elle s'attaquerait aux livres anciens. Rares, ils demeuraient enfermés dans une armoire dont seule Ixli détenait la clef, et elle ne désirait rien lui demander afin d'éviter les questions inopportunes.
— Bonjour, assena soudain une voix si forte qu'elle sursauta.
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[Sous contrat] Aurora T1 : Les Perles de Vie / Watty 2020
Science Fiction« Leur arrogance nous perdra ! », lance Flore à son frère Sojeyn, sous le coup de la colère. Et pour cause ! La princesse de la planète Aurora prédit l'attaque de leur monde par un envahisseur inconnu venant de l'espace, mais le Conseil refuse de l...