Le pouvoir des fous

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C'est un mardi matin, quelques instants avant le conseil des ministres, que Charles Bouvier décida de massacrer toute sa famille à l'aide d'une scie-circulaire. En une vingtaine de minutes, Bouvier réduisit en charpie sa femme, ses trois enfants ainsi que le chien. L'information fit scandale, si bien que le ministre de l'agriculture fut dépêché en catastrophe pour prendre la parole et ainsi répondre aux hurlements qui lui parvenaient des réseaux sociaux.
« Le gouvernement est profondément choqué par cet acte barbare, et nous sommes bien décidés à y répondre de la manière la plus ferme, notamment en procédant à l'interdiction immédiate, totale et définitive, des scies-circulaires à l'intérieur de l'Hexagone. »
Sur les réseaux sociaux, on poussa un soupir de soulagement, puis l'on retourna traquer le chanteur, l'acteur, l'homme politique ou le présentateur TV à l'humour définitivement trop noir ou trop osé pour être conforme à ces valeurs progressistes qui sont les nôtres.

Deux mois plus tard, peu de temps avant que le président de la République ne rende hommage aux martyrs de la grande guerre, l'on apprit que Tarik Benboulian, trente-quatre ans, avait décidé de faire de la soupe avec les organes génitaux de son épouse, le tout assaisonné d'une poignée de romarin, de sel et d'huile d'olive.
« Toujours les mêmes ! » hurla la droite des réseaux sociaux, demandant à ce que l'on rétablisse la peine de mort, la torture, et que l'on rouvre les bagnes pour y faire travailler à vie et dans la douleur ces fumiers d'assassins qui salissaient tout espoir d'appliquer un jour le vivre-ensemble à notre beau pays.
Le secrétaire d'État à la gastronomie prit aussitôt la parole, assurant que le gouvernement n'allait pas en rester là, et allait édicter de manière imminente, une loi dévolue à réguler la vente d'huile d'olive, de romarins, et qu'une surveillance toute particulière serait appliquée afin de garder à l'œil les consommateurs d'herbes de Provence.

Lorsque trois mois plus tard, Jacques Grosbouillon assassina son voisin ainsi que toute la famille de ce dernier, arrachant leurs cervelles de leurs têtes pour en faire de la terrine de campagne, les réseaux sociaux tonitruèrent à l'unisson que c'était un scandale, et que le pouvoir avait vraiment intérêt à agir avant que le retour des années sombres ne se fasse sentir.

Le président de la République prit donc la parole en personne, et annonça qu'aucune mesure ne serait prise par le pouvoir. Devant les cris de protestations en provenance de l'Internet, il se dépêcha de préciser qu'il était déjà interdit depuis fort longtemps de se trouver en possession d'une cervelle sur le territoire de la République, et que cette loi avait été rigoureusement appliquée par le bon peuple de France.

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