Cadavres sur papier glacé. Les hommes sont des nécrophiles ! Oreilles de satin, gants de fourrure, bas de soie, vous ressemblez au lapin dont on a arraché la fourrure. Les mâles se pourlèchent en vous contemplant, mais leurs doigts glissent sur les pages cent fois triturées. Pour apaiser leur faim, ils se rabattent sur les plats préparés par leurs femmes, de vraies femmes à la peau douce et tiède, qu'ils ne regardent plus. J'achète les lapins entiers. C'est meilleur marché et la viande garde son goût de gibier. Couteau effilé. J'enfonce la lame au bas du ventre et remonte d'un coup sec jusqu'au sternum. L'entaille vomit les entrailles de la bête. Je les réserve dans un tupperware. Les organes relèvent délicieusement les farces. Tous les soirs, je prépare un des plats que mon homme affectionne. Je connais ses goût sur le bout de ses doigts, dont il suce jusqu'à la dernière goutte de sauce. C'est un carnassier qui aime la viande fraîche. En dix ans, j'ai appris à la découper et la cuire pour qu'elle exprime au mieux sa saveur. J'aime la travailler, découvrir ses chemins cachés, ses résistances, sa texture. Je la respecte et ma lame suit toujours le chemin qu'elle m'indique.
Après une nuit sans sommeil, comme tous les matins, je déjeune seule. Mon homme n'est pas rentré. Son sexe est toujours plus fort que son ventre et l'autre, la jeune, le rassasie encore. Mais cela ne durera pas. Un soir, il sonnera. Il n'aura pas eu le courage d'utiliser ses clés. Les hommes sont des lâches. Ils sont conquérants jusqu'à la première nuit, ensuite, ils rangent leur épée et vous offrent leur couronne. Le chevalier devient comptable du quotidien, pesant ce que vous lui apportez et ce que vous lui coûtez. Malheur à celle qui penche trop de ce côté de la balance !
J'ouvrirai la porte sans un mot. Lui attendra un instant, les yeux baissés, quémandant un pardon qui lui rendra l'appétit. Devant mon silence, il entrera dans l'appartement. Dans la salle à manger, il découvrira, sur un valet, une chemise blanche et un costume impeccablement repassés. Il jettera involontairement un regard sur sa propre manche froissée, mais le réprimera aussitôt. Puis, il s'immobilisera comme un comédien en manque d'inspiration.
Comédien !
Je m'assiérai à table. Un faitout laissera s'échapper des vapeurs parfumées de lapin à la moutarde. Toujours sans un mot, je remplirai son assiette.
Une louche. Deux louches.
Nous mangerons. Seul le son étouffé de nos couverts troublera le silence de nos retrouvailles. Lui, contrôlera ses gestes afin de faire le moins de bruit possible, funambule à la limite de l'existence. Dans ses yeux, je verrai défiler la peur, la honte, la gourmandise et la culpabilité. Farandole cruelle des sentiments de l'homme nourri par la femme qu'il a trahie !
Puis, j'irai faire ma toilette. Il m'attendra dans le lit, vêtu du pyjama qu'il aura trouvé plié sur une chaise. Il n'osera pas se laver les dents. Cette activité ne se pratique qu'en couple ou entre amis et il ne saura pas dans quelle catégorie je l'ai rangé. À moins qu'il n'ait peur de voir une brosse à dents utilisée le narguer du verre à dents.
Je m'allongerai à ses côtés et nous éteindrons simultanément nos lampes de chevet. Comme avant.
Là, pour la première fois, il esquissera un geste masculin de tentative de réconciliation.
Et là, pour la première fois, je parlerai :
— Non !
Il exhalera ce soupir que je connais si bien, se retournera sur le flanc droit et s'endormira.
J'attraperai alors le couteau sous le matelas et le planterai dans son foie offert. La mort sera rapide et sans douleur, laissant à la viande fermeté et tendresse. C'est comme ça que j'aime les hommes. Je réserverai les organes dans un tupperware pour relever une farce.
Une semaine plus tard, la viande aura suffisamment mûri pour être préparée en bourguignon. J'inviterai Jacques, le meilleur ami de mon mari, à dîner. Jacques m'a soutenue quand celui-ci m'a quitté, mais j'ai vite compris que ce soutien était intéressé. Lorsque Jacques s'est déclaré, lorsqu'il a franchi la frontière sans retour où l'on se permet de désirer la femme de son meilleur ami, je lui ai promis de lui céder le jour où je serai persuadée que mon couple n'avait plus la moindre chance de se reconstituer.
Je tiendrai ma promesse.
Le soir dit, il sonnera chez moi. L'odeur du bourguignon rivalisera difficilement avec celle de l'énorme bouquet qu'il m'offrira. En conquérant, Jacques pénétrera l'appartement. Dans la salle à manger, il respirera, satisfait, l'odeur du plat chaud posé sur la table. Je me donnerai à lui sans attendre. Chez les hommes, le sexe passe avant l'estomac. Ensuite, nous passerons à table et je le regarderai déchiqueter les restes de mon passé.
Celui-là, je vais m'en méfier. Un homme qui trahit un ami n'aura aucun scrupule à trahir une femme. Mais à voir ses mâchoires puissantes, ses lèvres couvertes de sauce et ses yeux perdus de plaisir, je sais qu'il suffira que je satisfasse son ventre pour qu'il me reste.
Demain, je lui ferai du chou farci !
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Histoires d'horreurs
HorrorDans ce livre, se n'est pas moi qui les faits, je les prends sur internet.