Il est là. Il respire bruyamment, couché sur le ciment terreux. Une feuille brune est restée collée à sa babine droite. Un mélange de salive et de terre la maintient là. Déductivement, on pourrait supposer qu'il a dormi dessus il n'y a pas longtemps, la tête posée sur le coté, la langue pendante.
Il bâille et l'odeur fétide de son haleine monte lentement, comme un fumet, jusqu'à son cerveau. Ça lui fait, j'espère, des étoiles gluantes dans la tête, ou bien des vertiges gracieux, ce parfum de viande avariée.
En face de lui, parfaitement tondu, piqué ici et là de bouleaux blancs et quelques épicéas distingués, un territoire de pelouse.
Son regard vitreux ne lui sert plus qu'à distinguer le jour de la nuit et pourtant, il le fixe sur ce grillage qui le protège des ombres mouvantes de la forêt. Des odeurs capiteuses d'humus et de gibier rampent vers les orifices monstrueux de sa truffe. Il sent. Il est même si sensible aux odeurs que lorsque le soleil succède à la pluie et que le vent se met de la partie, ça lui arrive de hurler à la mort, des heures durant, d'émotion, c'est un besoin impérieux.
Tous les jours il broute des croquettes. Depuis le temps il a essayé toutes les marques, tous les parfums, toutes les textures, et rien qu'au son de la gamelle qui tinte mélangé avec le bruit du papier froissé, il en a les pattes qui tremblent, et il gémit comme une pucelle à l'approche du pal. Il adore manger, et lorsque ça croque sous ses dents déchaussées, et qu'il redresse la tête pour avaler, pendant quelque instant, il jouit.
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Ces derniers jours, son maître l'a mis à la diète. Paraîtrait qu'il s'est arrondi, il se traîne et s'essouffle. Son bonheur a été amputé, et il passe beaucoup de temps à lécher le fond de son auge espérant Dieu sait quel miracle. Sa nouvelle ration l'enrage, il a faim toute la journée, une faim de loup.Le voilà qui se dresse, il se passe quelque chose, là-bas. Il aboie et se précipite d'un trot lourd. Il aboie. Il aboie. Il aboie. C'est son métier d'aboyer et il le fait avec une détermination farouche. Il aboie et il longe sa frontière. De temps en temps, il trouve la faille et sort pour dévorer le monde, mais aujourd'hui, il ne tente pas le diable, il aboie, il aboie, encore et encore, il aboie et pourtant, il n'y a personne...
* * *
L'air est glacé, le ciel mauve. De bon matin, mon souffle chaud délite ses panaches. Sur les herbes du fossé, l'humidité de la nuit hérissée en givre, lentement, se délite dans l'orangé des premiers rayons. Dans le champ à côté, le blé pousse, vert tendre, suivant les courbes de la terre. Cela ressemble à un pelage bien ordonné, et si j'avais une main géante, je passerais tout l'hiver à caresser les courbes gracieuses de cette petite commune de Guilliers dans le Morbihan.
J'arrive près du bois. J'écarte du bout de mon bâton quelques aubépines, et je rentre. En cette saison, unique touche de vert, le lierre et les mousses règnent sur un immense enchevêtrement de troncs et de branches mortes.
La lune est encore là, pleine, et légèrement jaune, posée sur le ciel comme un œuf sur le satin rose. Elle a traîné toute la nuit dans les frondaisons griffues, implorant des caresses, et versant sa lueur au creux des pupilles grandes ouvertes des créatures nyctalopes tapies dans l'ombre des broussailles. Maintenant elle s'efface, le soleil enflamme le sous-bois, et les oiseaux inspirés commencent leur symphonie.
Dans une clairière, allongé dans les ronces, un grand chêne est tombé, ouvrant la terre. Le trou sombre est effrayant, il bâille, garni d'une dentition de racines déchiquetées.
J'aperçois une masse fauve et rouge, près d'une souche tortueuse. C'est un chevreuil, enfin presque. Il est égorgé. Son ventre est ouvert. Je ne reconnais pas les organes, juste la tripaille. On dirait qu'une mâchoire s'est acharnée à attraper l'intérieur de la bête pour tout disperser sur les feuilles croustillantes.
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Histoires d'horreurs
HorrorDans ce livre, se n'est pas moi qui les faits, je les prends sur internet.