Chapitre 1

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Peut-on considérer que la fin d'une vie est la fin d'un tout ? Ou au contraire que la mort annonce le début d'un renouveau ?

Tout ce que je sais, c'est que lorsque mon père m'a quitté, j'ai vu la fin de mon monde. La fin de sa vie. La fin de notre amour.

On m'a dit un jour que la mort était plus difficile pour ceux qui restent. Comment peut-on le savoir ? Ceux qui partent, où sont-ils ? Ressentent-ils encore toutes ces choses qui nous définissent ? Et où vont-ils ? Loin ? Ou si près qu'on pourrait presque les toucher ?

Le toucher. Oui, je pourrais, là, debout devant son cercueil ouvert, il me suffirait de tendre la main pour lui prendre la sienne, reposée sur son torse, dans son costume impeccable.

Un sourire sans joie traverse mes lèvres. Il n'a jamais été aussi bien coiffé qu'aujourd'hui. Même à son mariage avec Maman, ses cheveux bruns partaient dans tous les sens. Mais ce n'était pas important à ce moment-là, puisque son sourire faisait oublier tout le reste. Il ne sourit plus à présent, alors il faut qu'il soit bien coiffé.

Je ne tends pas la main. Je ne peux pas le toucher, c'est plus fort que moi, je refuse de toucher sa peau et la sentir froide comme la glace, alors que son amour m'a réchauffé chaque nuit, lorsque je pleurais le départ de Maman.

Je continue de l'observer, seulement parce que je ne peux détacher mon regard de son visage paisible, les yeux fermés comme s'il était plongé dans un rêve éternel.

Ce n'est pas lui. Il est tellement différent de l'homme qui dort dans cette boite en bois verni. Papa n'a jamais l'air reposé, même endormi, il laisse entrevoir cette énergie qui le caractérise depuis toujours. Il ne s'arrête jamais et m'entraîne toujours avec lui, dans ce qu'il considère comme des activités acceptables pour sa petite fille.

Il m'a appris à tirer au pistolet, à monter à cheval et m'a emmené en randonnée dans les montagnes. Il m'a emmené faire des sauts en parachute, m'a fait voler dans ces planeurs qui fusent dans l'air sans un bruit.

Il ne m'apprendra plus rien, à présent.

Mon cœur se serre et une boule se forme dans ma gorge. Je ne veux pas pleurer, alors je prends une grande inspiration et renifle en détournant le regard.

Cette fois-ci, le cercueil se ferme pour de bon. Debout, dans un coin de la salle, j'observe des inconnus attraper les poignées du lit éternel de Papa, et les suit du regard lorsqu'ils s'éloignent avec pour le faire glisser dans leur corbillard à la couleur de la nuit.

Ma tante, Katherine, m'attrape par le bras en me murmurant quelques mots gentils et me fait avancer avec elle jusqu'à la voiture.

La pauvre. Elle vient de perdre son frère cadet et essaie de nouer avec moi, ce lien qui rapproche les gens après la perte de quelqu'un. Mais je ne suis plus vraiment là. J'ai l'impression de flotter, loin de mon corps. Mon esprit et mes pensées sont en veille. Je l'entends prononcer mon prénom – Marysa – mais je ne l'écoute pas me dire qu'il m'aimait et qu'il ne serait jamais loin désormais, comme un ange gardien qui veillerait sur moi. Je me contente de regarder le paysage qui défile lentement, sans rien ajouter.

Nous sommes en Août. Le soleil brûle chaque brin d'herbe et le rend jaune et sec, comme la paille. Pourtant j'ai froid. La robe noire sans manche que je porte ne me réchauffe pas.

Mon reflet me parvient dans le rétroviseur. J'ai l'habitude d'être blanche, mais ai-je toujours été ainsi ? Des cernes foncés soulignent mes yeux gris fatigués. Mes cheveux noirs, habituellement aussi indomptables que ceux de Papa sont tirés à quatre épingles derrière ma tête, me donnant un air strict. C'est tante Katherine qui m'a coiffée. Elle m'a maquillée aussi. Le fond de teint et l'anti-cerne n'ont pas réussit à cacher l'aspect blafard de mon visage, mais il a eu raison de mes tâches de rousseur. Il a fallut qu'elle y ajoute un rouge à lèvre qui, sur mon visage, est aussi voyant qu'un coquelicot au milieu d'un champ.

Elle croyait bien faire, et puis, ça lui occupait l'esprit.

La voiture s'arrête devant le cimetière et nous en descendons pour suivre la marche des inconnus qui ont repris le cercueil sur leur épaule.

Elle est lente, solennelle. Papa détesterait ça. Et tante Katherine a récupéré mon bras. Je ne fais rien, je met un pied devant l'autre seulement, jusqu'à ce qu'on arrive à côté du trou, creusé en face de la pierre tombale qu'elle a choisit.

« Franck Blendwood

1963 – 2019

Un père aimant et un frère dévoué »

L'homme d'église parle de Papa. Il cite aussi la Bible. Certains endeuillés prennent la parole, Tante Katherine par exemple. Elle parle de Papa, des sanglots s'échappent de ses lèvres, la coupant dans ses phrases écrites sur le petit bout de papier qu'elle tien entre ses doigts, les larmes coulent le long de ses joues et dégringolent de sa mâchoire pour s'effondrer au sol.

Je sais que j'aurais dû faire un discours. Quelque chose de beau, qui aurait résumé notre relation père fille, c'est ce qu'on attend de moi. Mais je m'abstiens. Je ne pleure pas, mais je ne parle pas non plus.

A quoi bon dire des choses qui ne reflètent pas la moitié des choses que l'on peut ressentir ?

J'avance près du trou, là où repose à présent le cercueil de Papa et récupère une poignée de terre, comme je suis censée le faire.

D'un geste lent, je la laisse glisser entre mes doigts et me détourne pour laisser la place aux autres.

C'est terminé. Je ne le verrais plus jamais, mais je ne l'ai pas vraiment vu aujourd'hui non plus. Ce n'était qu'une version de lui, trop propre, trop parfaite pour être vraiment lui.

C'est pourtant la dernière que je verrais.

Adieu Papa. 

J'ai rêvé de nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant