CHAPITRE 1

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JUNE

«- June, c'est à toi dans 1 minute !»

Le vide, fais le vide dans ta tête plus rien ne te dépasse, tu vas voler un instant puis retomber sur le nuage, le final. Côté Jardin, côté cour, dix mètres entre les deux. Ne te stresse pas, il faut que tu voles.

«- Pour toi dans trois..., deux..., un... maintenant !»

Costume rouge vif tel une flamme dans le ciel, je vole. Retombe et l'on me réceptionne, le personnage blanc auquel je donne ma confiance les yeux fermés s'accorde avec mes pas, ses mains autour de ma taille me soulève faisant faire un passage dans la voie lactée. La lumière brûlante et réconfortante couvre nos corps de son artifice.

Les secondes se transforment en minutes, je ne peux plus m'arrêter. Mon corps et mon âme sont voués à la mélodie qui n'a de cesse de couler dans mes veines. Les violons qui nous accompagnent, s'affolent laissant le doux froid de l'Hiver signé Vivaldi envahir la salle jusqu'à glacer nos corps pourtant incandescents. Les pas s'enchaînent à une vitesse si folle, que quiconque y perdrait la tête. Le morceau est net dans mon esprit, je le connais par cœur et je sais quand chaque instrument viendra donner sa mélodie.

Les pointes m'élevant si haut, ne font que rendre le tout plus élégant malgré la douleur lancinante me donnant des frissons quotidiens. Elle fait partie de mon métier, elle me suit où que j'aille et c'est souvent les pieds en sang que je rentre chez moi découvrant les présents de celle-ci.

Les notes jusqu'ici dans le fond de mes pensées s'élèvent toujours plus haut et je sais qu'elle sonne comme un signal.

Sur le haut de mes pointes je me tends pour toucher le ciel de l'opéra empli d'anges. Mes yeux ne reflètent plus que ça. Ce ciel, un paradis illusoire que l'homme tente de s'imaginer pour fuir la réalité. Remarquez, je les comprends, personne ne voudrez mourir seul, perdu dans le néan si tenté que celui-ci existe.

Je reste immobile dans les cieux, comme si les nuages du plafont venaient à moi. Les bras ouverts sur ce corps domestiqué par la danse. Les violons se sont suspendue en un grésillement sourd et la lumière encore plus vive baigne mon corps. Je reste statique encore une seconde, mon regard perdue dans le vide et le temps d'après mon corps, suivant les violons en harmonie, redescend sur Terre rejoignant la réalité face à moi. Mes orteils frolant le parquet brillant, accueille mon poid. Le temps est suspendu, comme si les secondes passaient au ralenti. Les yeux toujours rivés sur le sol je ne vois que mon reflet. Puis en l'espace d'un instant, la splendeur du moment se brise par la sensation atroce d'une aiguille tel un pic brulant s'enfonçant dans la chair de mon épaule droite. J'en fais abstraction par devoir.

Garder le sourire, garder le contrôle et donner de la beauté sont les seules choses qu'ils attendent de moi.

Je dois résister, je dois subir et je ne dois pas m'arrêter.

La douleur se propageant, je dois me reconcentrer sur ces centaines de regards, gardant le même sourire plastique. Leurs corps sont raides, leurs yeux brillant et statiques et leurs visages dénués d'émotion.

On aurait dit qu'ils assistaient à mon enterrement. Cette pensée a pour effet de troubler mes sens, tandis que de mes yeux au regard perdu, je survole la salle de spectacle à la recherche de quelqu'un ou de quelque chose pouvant stopper ce suplice migrant jusque sur mes avant bras.

Mais qu'est ce que j'imagine trouver de la part des morts?

Ils me laisseront creuver sans la moindre hésiation.

Je trouve mon aide, dans le yeux du personnage blanc, Léo. Nous avons pour habitude de toujours soutenir le regard de l'autre, pour être en accord, synchronisés dans le temps et dans les gestes. Et à cet instant mon regard trahissait le sourire artificiel sur mes lèvres. Il a compris le message : Nous devons en finir au plus vite.
Le grand final se déroulera dans quelque seconde juste le temps de s'accorder avec la mélodie.
Puis quand le temps est écoulé et que je dois réalisé mon dernier vol, je m'appuis sur mon petit ange, suivant mes gestes pour prendre un premier élan. J'enchaîne avec de longues enjambées rapides, prends de la vitesse pour ne plus toucher le sol, et enfin m'envole en un grand écart flamboyant.

C'est là que mon morceau préféré, joué par l'orchestre s'impose. Cet instant n'aura duré que quelques secondes, on ne peut pas voler indéfiniment. La gravité, plomb attaché à mes chevilles me ramène au sol. Je retombe en étoile filante sur le parquet ciré, la tête emportée par le mouvement, tous mes muscles sont tendus. Je vois le parquet se rapprocher de plus en plus. Léo garde les yeux rivés sur mon corps sans me lâcher une seule seconde.

Il ne me faut qu'un instant pour perdre totalement le contrôle de la situation : Je deviens livide et je sens mon corps me lâcher devenant porcelaine.

Je prie pour qu'il me réceptionne avec rapidité avant que je n'arrive sur les lattes de bois. Les secondes défilent devant mes yeux. Il n'a plus son regard dans le mien.

Je le sais. C'est déjà trop tard.

Il essaye de me rattraper, me réceptionne mais je tombe. Mes jambes me lâchent, les secondes passent , mes doigts déjà trop engourdis frôlent les lattes de bois cirées, miroitant mon visage désormais livide. Ce seront mes derniers ressentis, la dernière chose que je pourrais sans doute faire de mes mains.

S'en suit un son tranchant et sourd tandis que ma tête retombe lourdement sur le miroir de bois. Les spectateurs sans âmes et de sang froid se reflètent dans mes yeux, certains se lèvent en quête d'explications, d'autre en quête de mon sang qui commence à former une flaque autour de mon corps. Il y en a d'autres restant assis à leur place à regarder la scène sans aucune compassion. L'un d'entre eux me regarde depuis un bout de temps, il ne m'a pas quitté de ses yeux dorés parmi l'excitation dans la salle, une expression d'incompréhension et de colère déformant son visage.

Léo, le personnage blanc me prend dans ses bras, me coupant la vue de leurs regards meurtriers. Ses yeux bronzes brillent quand il les pose sur mon corps, il y déverse alors une multitude de larmes venant s'abattre en perles d'eau sur mes clavicules. Il est jeune, pas plus de vingt ans alors que j'en ai cinq de plus. Ses traits d'enfance se voient encore sur son visage même larmoyant tandis qu'il essaye en vain d'arrêter l'hémorragie naissante.

Le rideau se ferment brusquement et je sens que l'on me porte, toutes ses secousses me donnent la nausée.

À cette instant, je ne pense plus, je reste inerte presque morte entre les bras de mon plus chers amis. C'est une fin tragique et répugnante.

Pourtant je peux encore les sentir autour de moi, il me pose sur un siège, toute cette aide ne me provoquant qu'une douleur abominable. Ils me regardent comme une âme perdue, leurs yeux n'osent même plus se poser sur moi, ils dévient juste d'un bout à l'autre de mon corps comme si je n'étais qu'un morceaux de quelque chose tout à fait horripilant. Je ne pense pas me rendre bien compte de ce qu'il m'arrive.

C'est vrai, je ne sens plus mon bras droit, et la douleur est de plus en plus insoutenable.

On me bouscule encore, mon corps ressent cela tel une vague venant s'abattre sur moi de plein fouet.

La douceur du velours jusqu'ici disparu vient alors comme un miracle frôler mon dos, je n'ai jamais fait attention à cette sensation avant, et pourtant tous semblent si agréables.

Plus tard je ne sens plus rien, sinon une multitude de lumières frôlant ma peau, tantôt bleue et tantôt rouge. La fraîcheur du vent dans mes cheveux me provoque des frissons et la sensation que mille regards sont tournés vers moi me fait mal à la tête.

Le jeu ne devait pas se finir de cette manière, aujourd'hui celui qui remporte la victoire c'est ce noir sortant des ténèbres et venant prendre ma conscience entre ses griffes. Il est venu me chercher et je ne me bats pas pour en sortir.

Oui, il a réussi, l'étoile s'est éteinte.

Lien de sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant