La Potiche

Partie 7

Allongée auprès de Soren, dans la suite de l'hôtel Edouard, je le regarde s'endormir. Il a les yeux mi-clos et sa respiration s'apaise après nos ébats. Une fois à l'hôtel, j'ai senti que Soren avait encore envie de faire l'amour et je dois reconnaître que l'idée me plaisait aussi. A présent, j'ai envie de lui parler de la représentation à laquelle nous avons assisté mais j'ai peur d'être trop lyrique ou de l'ennuyer. Je songe à la discussion qu'il a eu avec son ami Aymeric, lors de la réception où nous nous sommes rencontrés et à son exaspération devant l'attitude de Tilda, son ex, lorsqu'ils étaient allés voir Antigone. Je ne veux pas l'assommer avec des analyses ou des réflexions et puis, comment la potiche pourrait-elle discuter d'un opéra ? Pourtant, j'aimerais partager mes sentiments avec lui. L'histoire de Butterfly est si bouleversante... Comme d'habitude, je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer... Il m'est impossible de pardonner à Pinkerton qui a joué avec les sentiments de la jeune japonaise par désinvolture. Je me demande si Soren aime aussi l'opéra ou bien s'il n'y va que pour me faire plaisir.

– A quoi tu penses ?

Je suis tirée de mes pensées par cette question, posée d'une voix langoureuse. A l'évidence, Soren n'a pas envie de dormir.

– A ma jupe rose. J'ai fait une tâche dessus et je me demande comment je vais l'enlever. J'aime tant cette jupe, Soren et je suis sûre que je ne pourrais jamais trouver la même !

Je le scrute en terminant ma phrase. Ses paupières sont toujours demi-baissées et voilent ses beaux yeux noirs mais sa bouche n'esquisse même pas un sourire en m'entendant me lamenter sur une stupide jupe. Au contraire, il croise mon regard et sa main vient serrer la mienne avant de dire :

– Je suis désolé ma chérie. Peut-être que ta mère aura une solution ? Tu m'as dit qu'elle savait toujours comment détacher les vêtements ?

– Non. Pour cette tache, elle ne savait pas. La jupe est en soie et le produit qu'il faut mettre ne convient pas sur les étoffes aussi fragiles...

Il m'enlace et me serre contre lui pour me consoler. Mais comment peut-il être aussi gentil et patient ? N'importe quel mec ordinaire aurait changé de sujet. J'hésite à approfondir, à lui parler des marques de détachants mais je préfère me taire. Je suis trop bien, là, au creux de son épaule, pour jouer le rôle de la potiche. J'ai envie de lui parler de Mme Butterfly et de Pinkerton et de leur enfant qui sera élevé aux Etats-Unis, loin de sa famille maternelle. Ce soir, je ne sais pas pourquoi, mon rôle pèse une tonne sur mon cœur. La main de Soren caresse mon dos. Je me demande s'il a encore envie de faire l'amour. C'est possible parce que Soren est un homme très... chaud. Je ne savais pas, avant de l'avoir pour amant, qu'un homme pouvait avoir envie de faire l'amour plusieurs fois par jour mais j'avoue que ça ne me déplaît pas. Et même, ça me plaît beaucoup. Pas besoin d'être une potiche pour aimer le sexe avec Soren : il est si beau et si... attentif. Avant lui, j'avais couché avec quelques mecs mais ce n'était pas du tout comme ça. C'était agréable, des moments d'intimité, de partage mais je n'avais jamais éprouvé cette sensation de ne plus m'appartenir, de perdre pied en étant à l'abri de ses bras. Adolescente, j'avais un peu peur des hommes et puis quand j'aurais pu m'y intéresser, mon père a fichu le camp et en quittant la fac, je n'ai plus eu beaucoup d'occasions de fréquenter des personnes de mon âge. Pourquoi est-ce qu'avec Soren c'est si bien ? Est-ce lui qui est un amant fabuleux ? Est-ce moi ? Est-ce nous ? Je n'ai jamais osé lui en parler de peur que notre discussion ne dépasse la capacité de compréhension de la potiche. Ce soir, je suis tourmentée je ne parviens pas à savoir pourquoi. Est-ce que c'est l'opéra ou la discussion avec Pauline et ma mère ?

– Tu devrais regarder sur internet, pour ta jupe, il y a peut-être un truc que ta mère ne connait pas ?

Soren a tendu un bras hors du lit et a pris mon ordinateur. Regarder sur internet pour détacher la jupe rose... Je n'y aurais jamais pensé ! Je me retourne doucement, il s'est dégagé et a ouvert le portable.