Partie 14

38 4 0
                                    

Tout en nouant ma cravate, j'observe Lili, endormie. Elle est toujours aussi belle et si je n'avais pas rendez-vous avec toute l'équipe marketing, je ne suis pas sûr que je quitterai la chambre du Delphinium. Je me penche pour déposer un dernier baiser sur sa joue avant de partir mais j'interrompt mon geste. Mes doutes reviennent, plus fort encore que dans l'avion. Hier soir, au restaurant, elle a à peine parlé avec Jane Cox pendant le repas. En règle générale, elle est toujours volubile avec les petites amies de mes clients et trouve sans difficulté un sujet de conversation qui les absorbe toutes les deux. A la fin du repas, elle est allée aux toilettes avec Jane et j'ai bien vu qu'à son retour, elle était songeuse... triste. Que se sont-elles dit ? J'étais tellement obnubilé par Lili que j'ai eu du mal à renégocier le contrat avec Goldon. Ce qui aurait dû me prendre cinq minutes en a pris plus de dix ! Et pendant ce temps-là, elle envoyait des SMS... A qui ? Je sens mon cœur tomber comme une pierre. Lili voit-elle quelqu'un d'autre ? A-t-elle un amant ? Ceci expliquerait beaucoup de choses... La distance qu'elle met entre nous depuis Noël... Et même avant Noël. Sans doute depuis notre séjour à Tokyo... Et si elle avait rencontré quelqu'un là-bas ? Ou juste avant, à Paris ? Et puis, son attitude bizarre, à La Rochelle : les conversations avec Anastasia et Faustine où elle se dénigrait elle-même au point de mentir sur Madame Butterfly ! Et ses dérobades continuelles quand on lui pose des questions sur ses goûts ? Que signifient-elles ? Et le mot de passe sur son ordinateur ? Pourquoi Lili a-t-elle choisit un mot de passe aussi compliqué si ce n'est parce qu'elle a quelque chose à dissimuler ? Que cache Lili exactement ? Un amant ? Une vie secrète ? Elle doit prendre l'avion tout à l'heure, pour Paris... Pourquoi veut-elle aller à Paris puisque sa mère est partie à Fort-de-France ? Elle prétexte que c'est pour s'occuper de l'appartement de sa mère mais je doute que ce soit vrai. Nous serons à Paris dans dix jours, l'appartement ne peut-il pas attendre ? Je me relève sans l'embrasser et je quitte la suite : je veux avoir le fin mot de l'histoire. En appuyant sur le bouton de l'ascenseur, je suis décidé à appeler Fallourd, le détective que je charge de temps en temps de réunir des informations sur des clients ou des fournisseurs potentiels. Je veux savoir la vérité sur Lili. Et si elle a un amant, je la quitterai sans hésitation.

***

A mon grand désespoir, j'ai laissé Soren à Londres pour aller à Paris dès le lendemain de notre dîner avec Jane Cox et Goldon. La conférence sur l'algorithmique que MarioBoss a annoncé sur le forum doit avoir lieu l'après-midi même et je logerai dans l'appartement de maman. Pour la première fois, je dormirai seule dans le studio. Comme l'avion a un peu de retard, je décide d'aller directement à Jussieu pour la conférence. Lorsque j'entre dans l'université, je m'approche de l'accueil où un homme est déjà en train de demander où se trouve la conférence à laquelle je veux assister. Comme il est tard, sans perdre de temps je suis le type jusqu'à l'amphithéâtre.

Lorsque nous entrons dans la salle, Michelot, le conférencier est déjà là et tous les sièges sont occupés. Je m'assois sur l'escalier latéral. Il reste une place à côté d'une colonne qui me dissimule l'estrade où est assis le professeur. En me tordant le cou, je parviens cependant à voir Michelot. Je me demande si TheGeek est présent, lui aussi. Ou même 777, le nouveau venu sur notre forum. C'est dommage que nous ne nous soyons pas donné rendez-vous quelque part, après la conférence. C'aurait été une excellente occasion de nous voir IRL... Mais avec toutes mes inquiétudes au sujet de Soren et d'Emeline, je n'ai pas pensé à leur proposer d'aller boire un coup. Je sais que TheGeek est là, quelque part, mais MarioBoss n'a rien dit... Lorsque Michelot se met à parler, je suis captivée et ne le quitte pas des yeux. Le sol est dur sous mes fesses et je ne vois l'orateur que lorsqu'il se place sur la gauche de l'estrade. Lorsqu'il s'interrompt, au bout de deux heures, je ne regrette plus d'avoir quitté Londres et Soren tant la conférence était passionnante. J'avais déjà vu Michelot dans un MOOC mais en vrai, il est encore plus passionnant. J'aimerais tant assister à ses cours ! Ce n'est pas possible : il me faudrait choisir : Michelot ou Angebault ? Si je m'installais chez maman, je pourrais m'inscrire à l'université et suivre les cours de Michelot... En suis-je capable ? Le micro circule et quelques auditeurs posent des questions sur des parties de sa conférence qui m'ont pourtant parues très claires. Peu à peu, la foule se disperse. Je me lève et me dirige vers lui. Je sais que c'est un peu idiot, mais j'ai envie de lui dire à quel point sa conférence m'a passionnée. Je descends les marches qui me séparent de l'estrade. Je m'approche, intimidée :

– Monsieur Michelot, je voudrais vous remercier pour cette conférence. Je n'ai pas la chance de pouvoir suivre vos cours et votre intervention m'a vraiment... nourrie.

Michelot est un beau mec : grand, très mince, presque maigre. Sur les vidéos du MOOC, il avait l'air plus vieux. Il a un nez un peu trop long mais ça lui va bien. Il lève les yeux et me sourit :

– Merci madame. J'espère avoir répondu à certaines au moins de vos interrogations.

– A vrai dire, tout m'a paru très clair. Je fais partie d'un forum sur la cryptologie et l'un des participants répond à mes questions au fur et à mesure. Et puis, comme je suis le MOOC du professeur Valdemingue, de l'université de New-York, j'ai aussi déjà eu l'occasion de m'interroger sur certains points de cryptologie.

– Un forum ?

Je lui donne le nom du forum et il demande avec un sourire :

– Et, vous, quel est votre pseudo ?

– Phaïstos.

– Si vous êtes Phaïstos, je me dois de vous serrer la main : je suis MarioBoss. Grâce à vous, je sais à l'avance les questions que vont me poser mes meilleurs étudiants de master... Je prépare mes explications et mes exemples à partir de vos questions ! Tenez, lorsque j'ai choisi les exemples de cette conférence, c'est vous, Phaïstos, qui m'avez inspiré !

Mon cœur chavire en entendant ces mots. Le professeur Michelot me tend la main et la serre chaleureusement.

– Si vous avez un moment, nous pourrions aller boire un verre. Je connais un bar très sympa, rue Linné.

Ravie, j'acquiesce et il rassemble rapidement ses affaires avant de m'entraîner vers la sortie, derrière l'estrade. Nous longeons plusieurs couloirs interminables avant de nous retrouver près d'un petit portail, le bar l'Inespéré est juste en bas de la rue. L'intérieur est meublé de tables en bois verni et de chaises bistrot. La machine à bière trône sur le bar, en bois lui aussi. L'atmosphère est sympathique, je prends place à une petite table au fond de la salle.

Michelot commande une bière, moi un jus de poire et il me dit :

– Comme je vous l'ai dit, je suis MarioBoss sur le forum. Mais vous pouvez m'appeler Jérôme. Ca fait longtemps que vous vous intéressez à la cryptologie ?

Je lui explique mon parcours, heureuse de ne pas être obligée de me cacher, pour une fois. Nous bavardons une bonne heure puis Jérôme se lève en disant :

– Je dois partir, j'ai rendez-vous au restaurant avec ma femme à 19 heures mais j'ai été très heureux de te rencontrer Phaïstos ! N'hésite pas à m'écrire si tu as d'autres questions et surtout, surtout, fais appel à moi si tu veux t'inscrire en master quand tu auras obtenu ta licence par correspondance. J'essayerai de t'aider !

Je me lève à mon tour et nous nous faisons la bise. Pendant que nous discutions, la salle s'est bien remplie. Il y a des étudiants un peu partout, en grandes tablées joyeuses et le brouhaha est devenu presque insupportable.

En sortant de l'Inespéré, je prends une petite rue, un peu au hasard. J'ai besoin de réfléchir à tout ce que Michelot a dit mais aussi à Soren, à ma vie avec lui et à ce que je perds à cause de mon nomadisme. Lorsque les rues deviennent noires, je m'arrête devant une bouche de métro pour consulter le plan et je m'y engouffre pour regagner l'appartement désert de ma mère.

La PoticheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant