Une semaine s'est passée depuis que l'angoissé mais non moins adorable Aurélien était venu consulter. Après l'avoir examiné, ils avaient discuté un moment, Guillaume ayant prit le temps qu'il fallait pour répondre à toutes ses questions sans exception. Aurélien s'était calmé au fur et à mesure qu'il écoutait les paroles rassurantes de son médecin.

Et depuis ce jour, il était impossible pour Guillaume de ne penser à autre chose qu'à cet étrange jeune homme.

Adossé contre le mur en briques rouges, le brun fume une cigarette avant l'arrivé de son prochain patient dans 20 minutes. Dehors, il ne fait pas très beau mais l'atmosphère aseptisée des murs blancs de l'hôpital a tendance à l'étouffer alors même le mauvais temps devient salvateur.
La fumée blanche s'échappe d'entre ses lèvres gercées par le froid hiémal qui embaume les rues de Caen depuis quelques semaines. Le printemps tarde à arriver et Guillaume se languit des après midi à flâner dans les herbes hautes de la colline aux oiseaux.

C'est une collègue qui vient le sortir de ses pensées. Cette dernière s'installe à côté de lui, allume une clope et avec un petit sourire aux lèvres déclare :

- Tu nous en veux pas trop, Guillaume ?

- De quoi ?

- Bah... ton premier patient la semaine dernière.

- Mon premier patient ? Aurélien ?

- Ouais, c'est ça. Aurélien.

- Oui, et alors ?

Guillaume ne comprend pas vraiment la tournure de la conversation, il se redresse et la regarde interloqué.

- Tu viens d'arriver ici... alors on s'est dit que te refiler le patient le plus chiant c'était un peu une sorte de bizutage !

Ladite collègue ne peut réprimer un petit rire moqueur mais le brun garde son air sérieux.

- Chiant ? Il est pas chiant du tout.

- Ouais... Le mec est hyper fortuné pourtant il ne trouve rien de mieux à faire que de vendre des fleurs quand il est pas ici pour se plaindre et nous faire perdre notre temps avec ses angoisses, là.

L'autre femme parle avec des grands gestes et dans le ton de sa voix, Guillaume y décèle un profond dédain envers le jeune Aurélien. Il ne sait pas pourquoi mais ça l'énerve. Il écrase sa cigarette contre le cendrier et la jette dans celui ci.

- Qui est son médecin traitant ?

- C'est Marina, mais elle en peut tellement plus que par solidarité, on la remplace.

Guillaume observe attentivement sa collègue qu'il ne trouve guère sympathique.

- Il est juste en manque d'attention, du coup il invente n'importe quel symptôme pour venir se faire plaindre.

Guillaume repensait à ses mèches sombres qui ondulaient négligemment le long de son coup.  Il repensa aussi au frisson qui parcouru son corps tout entier lorsqu'il toucha pour la première fois la peau si douce d'Aurélien. Perdu, dans ses pensées il ne pu réprimer un petit sourire, n'écoutant plus les médisances de la vieille aigrie à côté de lui.

*

Après sa journée de travail, Guillaume eut envie d'aller se balader dans Caen, maintenant qu'il était installé. En déambulant dans les rues, laissant le hasard guider ses pas,  le jeune médecin repensait à sa vie à Cergy. La fac de médecine, les amis, la famille et Marc, son ex petit-ami, la raison pour laquelle il était parti vivre ici, loin de tout ce qui lui rappelait son histoire avec lui. Une histoire somme toute banale, ils s'étaient aimés, beaucoup, puis après quelques années il y eut la lassitude et Marc s'en alla auprès d'un autre. Guillaume avait souffert mais pas autant qu'il ne l'aurait pensé mais il ressentit quand même le besoin de commencer sa nouvelle vie une fois son diplôme en poche.

Une jolie devanture de magasin l'invite à s'arrêter quelques instants. Des fleurs ornent la vitrine, donnant à l'endroit un côté hors du temps. Sur une vieille échelle en bois sont posés çà et là des pots d'où débordent des plantes que Guillaume ne saurait reconnaître. Il plisse les yeux pour regarder à travers la vitre et y aperçoit un jeune homme en train de composer un bouquet de mimosas. En regardant plus attentivement, il remarque alors que les mains délicates qu'il fixe depuis peu appartiennent à Aurélien.

C'est vrai, il lui avait dit la semaine passé qu'il était fleuriste et Guillaume avait vraiment trouvé ça adorable. En fait, en y repensant, Aurélien aurait pu lui dire n'importe quoi, il aurait trouvé ça adorable. Il n'avait cessé de repenser à leur rencontre et à ce que sa collègue lui avait dit. Il était vrai que le jeune fleuriste semblait être de nature relativement angoissée et peut-être qu'il y avait un problème plus profond qui expliquait son attitude et ses peurs. Mais Guillaume avait du mal à croire qu'Aurélien s'inventait des maladies par simple ennui.

- Bonsoir, je peux vous aider ?

Guillaume relève la tête et croise le regard d'Aurélien qui se tient en face de lui, un bouquet de roses roses vieillies dans les bras. Son doux visage est éclairé par un sourire radieux qui trouble le jeune médecin au point qu'il ne sait rien dire d'autre qu'un bonjour timidement balbutié. Aurélien remarque sa gêne et se permet un petit rire moqueur.

- Ca va docteur ?

- Oui, oui. Je suis un peu fatigué par ma journée.

Guillaume lui sourit et passe sa main derrière sa nuque. Le jeune homme qui se tient en face de lui est tellement différent de celui qui est venu consulter la semaine dernière et ça le trouble encore plus. Ses yeux sont rieurs et son sourire est solaire.

- Vos fleurs sont magnifiques.

- Merci. J'en prends grand soin. Elles sont les seules qui ne me jugent pas.

- Pourquoi avez vous peur d'être jugé ?

- Je sais très bien que je suis pas le patient le plus...

Aurélien cherche ses mots, passant une main dans ses cheveux d'un geste délicatement nonchalant et Guillaume observe attentivement les mèches brunes retomber sur son front.

- enfin je sais pas... mais je sais bien que je suis persona non grata.

- Les gens sont bêtes. Tout le monde n'est pas comme ça.

- Vous parlez pour vous ?

- Oui.

Aurélien esquisse un petit sourire dans lequel Guillaume décèle une pointe de résignation.

- Je vais vous agacer au bout d'un moment, je le sais. J'ai cet effet la sur les gens. Je ne sais comment mes amis font pour me supporter et ils ne comprennent pas toujours. Au moins, mes jolies fleurs, elles, m'écoutent sans rien dire. Et puis elles sont si belles que rien de ce que je leur dit ne pourrait ternir leur beauté.

Cure my heart - TERMINEEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant