Blowsky se gratta l'arrière du crâne en fixant le sol comme s'il allait soudainement s'ouvrir sur les enfers.
— Bordel ! Vous savez depuis combien de temps il n'y a pas eu de foutus représentants assassinés ? Plus de dix ans ! Saloperie !
— Onze ans et soixante-quatorze jours, précisa Vidocq de sa voix atone.
— On t'a pas notifié, cervelle de bit !
Devant l'humeur du commissaire, l'IA préféra se mettre en veille tandis que Blowsky croisait les bras sur sa poitrine, ce qui revenait également à les poser sur sa panse.
— Vous avez combien d'affaires en cours, avec votre équipe Môchi ?
— En plus de celle-là ? Seulement deux.
— Deux ?
Armande confirma d'un hochement de tête.
— Celle du chien empoisonné dans un immeuble huppé et cette histoire de recrudescence d'accidents de navettes interblocs.
Son supérieur écarquilla les yeux.
— Les navettes interblocs ? Pourquoi enquêtez-vous là-dessus ?
— Il y a eu deux morts.
Blowsky se tassa sur lui-même et souffla de façon sonore pour exprimer son mécontentement.
— Des d'accidents n'ont jamais fait un meurtre, Môchi. Au pire, c'est une foutue malversation professionnelle aggravée ! Ça, ajouta-t-il en désignant la femme étranglée, ça devient votre putain de priorité. Vos navettes interblocs, vous me les foutez en stand-by.
— L'affaire du chien aussi ?
Blowsky secoua ses bajoues.
— J'aimerais mieux, mais je connais un peu la vieille qui a porté plainte, c'est une teigne. Elle va nous souffler dans les bronches si elle apprend qu'on a stoppé l'enquête sur la mort de son clébard. Vous n'avez qu'à laisser Loiseau ou Hong dessus.
Armande acquiesça. William Loiseau et Samuel Hong étaient les deux détectives que comptait son équipe, seulement complétée par une spécialiste du crime digital, la lieutenante Mélanie Jacquard. C'était cette dernière qui planchait sur les accidents des navettes. Armande ne put réprimer une grimace en songeant à la tête que Mél ferait quand elle lui annoncerait les ordres de Blowsky. Furieuse et rubiconde, probablement.
— Bon, une dernière chose Môchi, reprit Blowsky. Le mari est ici.
Armande manqua de s'étouffer en entendant ça.
— Déjà ? Vous avez fait vite pour le prévenir.
Blowsky grommela.
— On n'a rien fait du tout. Il a vu ces foutues images diffusées partout sur les flux. Quel bordel. Il est venu direct.
Armande déglutit. Pour apprendre la mort de sa femme, il y avait mieux. Et évidemment, le commissaire insista pour qu'elle se coltine la tâche délicate de lui confirmer la nouvelle.
Il lui donna une bourrade dans le dos en guise d'encouragement, avant de se sauver courageusement dans son bureau. Armande contempla une dernière fois le visage de la victime. Fixa son regard gris et vitreux.
— Programme, enregistrement des données, fermeture et déconnexion.
Le hall vrombissait de l'activité policière habituelle. Quoique, en cette matinée particulière, beaucoup levaient le nez vers les écrans holo qui diffusaient des chaînes de flux en continu, quand ils n'activaient pas directement leurs implants rétiniens ou chaussaient leurs lunettes connectées. La Voltaire était partout. Cela ne durerait pas. Avant le soir, une actualité brûlante viendrait la supplanter. En attendant, Armande avait l'impression de ne pas avoir quitté la salle de reconstruction virtuelle. Elle imaginait aussi ce que pouvait ressentir le mari de la victime. On l'avait mis à patienter dans un petit salon, certes à l'écart, mais avec baie transparente sur le hall. Charmante attention, dont personne ne semblait se rendre compte. Elle le vit, enfoncé dans un canapé, qui se tenait la tête entre les mains et fixait le sol.
Armande poussa la porte.
— Monsieur Marnes ?
L'homme, cheveux bruns déstructurés par des doigts passés rageusement entre les mèches, cernes rougis par l'humidité et teint blafard, se redressa d'un bond pour la dévisager.
Armande vit cette étincelle éphémère et ténue qu'elle rencontrait si souvent dans le regard des proches des victimes. Ce moment fragile où ils se mettent à espérer. On va leur annoncer qu'il s'agit d'une autre personne, que ce n'est pas réel. L'inspectrice ravala un peu de salive et soutint ce regard. Elle le laissa se décomposer, laissa la petite étincelle se recroqueviller et disparaître au fond de l'iris, dans les ténèbres de la pupille. Puis, le visage qui s'étire, la gorge qui se noue, la commissure des lèvres qui s'avachie en tremblant.
Armande activa la fonction d'opacification de la baie vitrée et referma doucement la porte derrière elle. Lui avait déjà porté ses mains devant sa bouche. Elle inspira. Elle n'était pas douée pour trouver les bons mots.
Un bruit de pas léger lui épargna momentanément cette tâche. Une tête blonde surgit de derrière le canapé, une peluche à la main, les yeux curieux. Elle devait avoir un peu plus de trois ans.
— Vous avez touvé maman ? Elle est Volontaire !

VOUS LISEZ
ReVoltaire
Science FictionNéo-Commune de Paris, dernier quart du XXIe siècle. Dans la cité, devenue libertaire et autonome, la politique et le suffrage universel sont abolis depuis longtemps. Elle est dirigée par des représentants anonymes, désignés de façon équitable par u...